Actualités MMP
Retrouvez ici tous nos articles écrits sur le portail musique des bibliothèques de prêt et sur le site des bibliothèques patrimoniales de la Ville de Paris.
"Fisch Ton Kan" ou Le citoyen Brunel, de l’Empire à la Commune de Paris
21 février 2023
Raillé, caricaturé, surnommé « sire de Fisch-Ton-Kan » ou « Badinguet » du nom de l’ouvrier qui l’aurait aidé autrefois à s’enfuir, Napoléon III n’a plus la cote auprès des Français, en 1870, à la suite de la défaite de la France face à la Prusse. Le 2 septembre, il est fait prisonnier à Sedan, ce qui entraîne la proclamation de la 3ème République.
La chanson, écrite fin 1870 et qui remporte un franc succès, est dédiée au citoyen Paul Brunel (1830-1904). Celui-ci, officier de l’armée impériale, change de « kan » et démissionne. Pendant le siège de Paris en 1870, il refuse la passivité du Gouvernement de Défense nationale, et participe à l’insurrection. Il est emprisonné début 1871 ; mais libéré par la Garde nationale, dès le 18 mars, Brunel dirige le mouvement insurrectionnel, et il est nommé général de la Commune, puis élu du Conseil de la Commune.
Il participera activement au mouvement, et sera blessé au cours de la Semaine sanglante ; mais parviendra à se réfugier en Angleterre. C’est un des rares combattants de la Commune de Paris qui ait pu sauver sa peau !
Rythmes et rites : la musique et la mort
17 février 2023
Dans le cadre de son nouveau cycle courant du 04 février au 30 juin 2023, la Médiathèque musicale de Paris (MMP) présente une exposition unique, véritable dialogue entre artéfacts ethnologiques et documents musicaux de sa collection patrimoniale. L’exposition se propose de montrer et faire écouter la mort dans le monde, par la multitude des rites funéraires, des manières d’aborder le deuil ou encore de communiquer avec les ancêtres.
Exprimer ses émotions face à la mort, trouver du réconfort, faire communauté, entrer en contact avec ses ancêtres, voilà ce que les sociétés et les individus recherchent depuis toujours. Le langage musical est un médiateur privilégié pour accomplir ce dessein.
Bien que très différents, d’un bout à l’autre du monde, d’une époque à une autre, les rites funéraires font universellement appel à la musique et aux chants pour accompagner ce passage de vie à trépas. C’est précisément cette constante qui intéresse la MMP depuis maintenant plusieurs années, et que ce cycle, au travers de l’exposition et de la programmation, cherche à questionner.
Une anthropologie musicale de la mort
Le thème de la musique et la mort résonne particulièrement dans les collections des archives de la Médiathèque musicale. Le fonds d’ethnomusicologie est mis en valeur dans cette exposition. Vous aurez l’occasion de découvrir des vinyles uniques et les enregistrements de cérémonies funéraires, réalisés par des anthropologues et musicologues au XXe siècle lors de leurs voyages de par la monde pour découvrir les différentes manières de commémorer les morts.
La mort en musique en Occident, histoires d’hier et d’aujourd’hui
La musique occidentale n’est pas en reste pour parler de la mort. Requiem, messe des morts ou encore danse macabre sont autant de manières de mettre en musique le trépas. Grâce à un parcours chronologique, vous aurez ainsi l’occasion d’explorer les moyens mis en œuvre par les compositeurs pour accompagner les cérémonies funéraires occidentales.
La relation musique et mort continue d’ailleurs d’être une source d’inspiration à l’époque contemporaine. Le requiem s’assume profane ou s’inscrit dans les drames du siècle, puisque la composition dédiée aux victimes de la guerre (War Requiem, Benjamin Britten) ou du terrorisme (On the Transmigration of Souls, John Adams) devient un genre en soi.
Communiquer avec les morts
Si les défunts doivent être conduits vers l’au-delà par un ensemble de rites que la musique permet d’encadrer dans les sociétés, la communication avec les ancêtres est un enjeu central pour de nombreuses religions, comme par exemple le vaudou. Là aussi, la musique est nécessaire pour assurer le lien entre vivants et morts. Clochettes, tambours, cloches à deux tons permettent de pouvoir faire advenir les esprits et les dieux, voire de devenir nous-mêmes une divinité, le temps de la cérémonie.
Un dialogue entre documents musicaux et artefacts ethnologiques
Ce lien intime entre mort et musique se retrouve incarné par les instruments de musique et les objets rituels, prêtés par le Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie de Philippe Charlier, médecin légiste et paléoanthropologue, et par Éric Jolly, anthropologue, directeur de recherche au CNRS. Pour la première fois à la Médiathèque, un dialogue entre objets lointains et chargés d’histoire et documents sonores se créée. Une véritable mise en regard de la musique et des artefacts accompagnant la mort dans le monde est proposée. Pour ce faire, la diversité des objets présentés est d’envergure. Entre autres, vous aurez par exemple l’occasion de découvrir la cagoule-éléphant nzêt des Bamiléké, le sistre éthiopien, le masque de carnaval écorché de Cuzco, les clochettes vaudou du Bénin, le miroir pare-fantôme chinois, ou encore le passeport de l’enfer et du paradis cambodgien…La relation des sociétés à la mort est incarnée dans nombre de ses facettes, anciennes et contemporaines, matérielles et musicales.
Ce foisonnement de croyances, rites et rythmes funéraires mérite d’être expliqué et raconté. C’est pourquoi des fiches thématiques sont proposées au début de l’exposition, grâce auxquelles vous pourrez déambuler devant les vitrines en découvrant les histoires des objets et sociétés présentés. A ces fiches s’ajoutent un audioguide, dans lequel vous retrouverez les musiques des vinyles et des instruments présentés.
Déjà l’objet de notre dernière newsletter et des derniers événements à la MMP, le cycle Rythmes & Rites, la musique et la mort se poursuit jusqu’au 30 juin, et est accompagné d’une programmation de concerts, conférences et ateliers.
Maruja Méquinion
La jeunesse de César Franck
30 décembre 2022
Alors que l'on célèbre le bicentenaire de la naissance de César Franck, les bibliothèques vous proposent un retour sur la vie et l’œuvre du musicien. Premier épisode : la jeunesse.
César Franck voit le jour à Liège le 10 décembre 1822. Son père, Nicolas-Joseph, est employé de banque. Sa mère, Marie-Catherine, femme au foyer, vient d’Aix-la-Chapelle.
S’il n’est pas issu d’une famille de musiciens, son père décide quelques années plus tard de faire de ses deux fils des virtuoses qui, il l’espère, connaîtront le succès. C’est l’époque où Liszt, Chopin, Paganini et Alkan triomphent à Paris, capitale européenne de la musique.
L’enfant prodige et le jeune compositeur de génie
César Franck fut un enfant prodige dans la plus complète acception du terme. Entré dès cinq ans à la nouvelle École royale de musique de Liège, il suit les cours de Joseph Daussoigne, le neveu du compositeur révolutionnaire Étienne Méhul. Très vite, il se distingue par sa grande force de travail et ses belles qualités d’interprète. Son professeur de piano note à son propos en 1832 : « Va fort bien et promet beaucoup ». Daussoigne parle quant à lui de « grandes dispositions ». Ce dernier l’a même nommé, adolescent, répétiteur d’une des classes de l’école, devenue entretemps Conservatoire royal en 1831.
Attiré par le monde du spectacle et par les promesses d’argent qui y sont associées, le père de Franck organise des concerts publics de ses deux fils. Franck s’y mesure aux pièces les plus virtuoses (Hummel ou Herz). Il y interprète également ses propres œuvres, comme le Grand rondo op. 03 ou les Variations brillantes sur l’air du Pré aux Clercs op. 05, basées sur l’opéra de Ferdinand Hérold. Un journaliste le surnomme la « petite merveille de l’art musical ».
Fin stratège de la carrière de ses fils, Nicolas-Joseph Franck en désire cependant davantage. Il décide d’émigrer à Paris pour inscrire César et son frère au Conservatoire, afin qu’ils reçoivent l’enseignement des meilleurs professeurs. Franck y sera l’élève d’Antoine Reicha, un des dépositaires de la tradition beethovenienne. Ce dernier a déjà formé Berlioz et Gounod. A cette époque, César Franck, âgé de 13 ans, atteint déjà à un très haut degré d’excellence dans l’art de la composition. On lui doit un très beau deuxième concerto pour piano qui s’inspire à la fois du style d’Hummel et de celui du maître de Bonn. Franck s’essaie également au genre de la symphonie avec une partition en sol mineur.
Enfin, ce sont trois trios pour violon, violoncelle et piano, dont l’un propose une forme cyclique très élaborée, qui confirment Franck comme compositeur de musique savante reconnu par le « Tout Paris ». A cette occasion est proposée une souscription qui réunit les grands noms de l’époque, qu’ils soient du monde de l’art ou de celui de l’aristocratie. Meyerbeer y figure en première position, Liszt en deuxième. Franck restera toute sa vie l’ami de ce musicien qui fascine toute l’Europe par sa virtuosité pianistique et par son génie.
Face à l’emprise du père, la libération
L’emprise que Nicolas-Joseph exerce sur ses enfants s’est, au fil des années, muée en une véritable exploitation. Antonin d’Indy n’hésite pas à parler à son sujet d’une « sorte de Thénardier », en référence au personnage de Victor Hugo[1]. Il soumet chaque jour Joseph et César à un emploi du temps minuté. Les cours donnés s’enchaînent, les concerts aussi. Peu de divertissements pour ces « jeunes damnés » de la musique !
En 1846, alors qu’il a tout juste 23 ans, il décide de rompre définitivement avec son père. Le musicologue Léon Vallas raconte cet épisode personnel qui prend son origine dans la naissance d’une mélodie du compositeur dédiée à sa future femme Félicité Desmousseaux Saillot :
César-Auguste avait écrit sur les vers fameux de Reboul, L’Ange et l’enfant, une touchante romance datée du sept février 1846. […] Déplut-elle à son père ? ou plutôt exaspéra-t-elle le tyran par la dédicace imprudemment inscrite : « En souvenir, à Mlle Desmousseaux » ? Le père Franck y trouva la preuve d’un projet de fiançailles, que par principe il condamnait : le mariage aurait gêné son fils dans sa carrière de virtuose. Il déchira la partition. César-Auguste, révolté par cet acte brutal, se rendit bien vite chez les Desmousseaux pour reconstituer de mémoire le document condamné et en offrir le nouveau texte à la jeune Félicité. Du même coup il décida de quitter la maison de ses parents pour vivre seul, indépendant d’une oppression insupportable.
César Franck emménage alors 45 rue Blanche, dans un petit appartement de la Nouvelle Athènes, un quartier de Paris où se rencontre toute la génération romantique. Il continue à donner des cours de piano pour vivre. Les lendemains ne laissent pas d’être difficiles et il doit attendre ses vingt-cinq ans révolus pour se marier avec celle qu’il aime. Il signe désormais César et non plus César-Auguste, marquant ainsi publiquement la rupture avec son père.
Le premier poème symphonique de l’histoire
Si 1846 est pour Franck une année d’indépendance par rapport à sa famille, elle constitue également une année de rupture esthétique dans son œuvre. En effet, le compositeur invente le genre du poème symphonique, et ce un an avant la date de création officielle par Franz Liszt en 1847. Les deux compositeurs se sont-ils parlés de leurs projets respectifs ? Toujours est-il qu’ils mettent en musique le même poème de Victor Hugo, issu du recueil Les Feuilles d’automne, "Ce qu’on entend sur la montagne".
Ô altitudo !
Avez-vous quelquefois, calme et silencieux,
Monté sur la montagne, en présence des cieux ?
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?
Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ?
Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité,
Calme et silencieux, avez-vous écouté ? […]
A partir de ce texte, Franck élabore une œuvre puissante. Cette partition de 64 pages (25 minutes) présente la forme d’un grand mouvement symphonique. L’orchestre apparaît fourni avec des violons par six, puis par quatre et avec un ophicléide joint aux trombones.
Contrairement à ce qu’a réalisé Liszt dans le sillage de Berlioz, Franck ne rend pas compte fidèlement de chaque partie du poème de Victor Hugo. Il s’agit là plutôt de la traduction d’un sentiment général, celui de l’homme face aux ivresses des hauteurs. Le temps et l’espace, dans leur grandiose manifestation, y sont comme suspendus par le tissu de tenues, d’ostinatos, de trémolos.
Transposant le vers d’Hugo « L'une disait : NATURE ! et l'autre : HUMANITÉ » par la différenciation des rythmes joués aux cordes et aux cuivres, Franck exprime merveilleusement la dichotomie entre la montagne et la solitude du voyageur. L’ensemble de l’œuvre est comme souvent chez Franck irrigué par un choral de grande ampleur (16 mesures !). Comment ne pas voir d’ailleurs le retour de cette magnifique mélodie dans la dernière section comme une géniale préfiguration de biens des finales d’œuvres ultérieures appartenant à l’école Franckiste ?
Franck reviendra bien des fois à la poésie de Victor Hugo, son poète favori. Il semble que cette inclination particulière lui soit venue de sa belle-famille, des artistes et des lettrés avec qui il vivra désormais en parfaite harmonie.
A côté de cet épanouissement intime, la rupture de César Franck avec son père aura malheureusement des conséquences certaines sur le déroulement de sa carrière. Le compositeur renoncera à la fortune, à la publicité excessive dont il avait été l’objet jusqu’alors, et se vouera à l’existence plus modeste de professeur de musique. Ce sera le début d’une longue période d’obscurité qui ne cessera qu’avec la guerre de 1870, l’influence grandissante de ses disciples et la fondation de la Société Nationale de Musique. C’est cette deuxième partie de la vie de Franck que nous nous proposons de relater dans un nouvel article.
Dans le jardin secret d'Yvette Horner
30 septembre 2022
Cette année, Yvette Horner aurait eu cent ans. La Médiathèque musicale de Paris rend hommage à l’icône populaire à travers son goût pour… la musique classique, grâce à un album méconnu, trésor caché de la collection de la médiathèque : Le jardin secret d'Yvette Horner.
À l’âge de 11 ans, avec son 1er prix de piano obtenu du Conservatoire de Toulouse, la jeune Yvette Hornère se destine à une carrière de concertiste, passionnée qu’elle est de musique classique (*). Mais ses parents décident qu’elle se mettra à l’accordéon – parce qu’il y a peu de femmes accordéonistes et qu’elle a davantage de chances de trouver une situation…
À l’époque où elle se met à l’étudier, l’accordéon est très jeune, puisqu’il a à peine plus d’un siècle. En soixante-dix ans de carrière, Yvette Horner (le e est tombé entre-temps) en vivra à la fois l’essor et la consécration.
L’accordéon est un instrument à vent et à claviers, doté d’une large tessiture, d’une grande puissance et de registres sonores très variés. N’en déplaise à ses détracteurs qui ne l’associent qu’aux bals populaires et le jugent ringard, voire vulgaire, il a une dynamique et une expressivité telles qu’il est utilisé dans de nombreux répertoires. Il est omniprésent dans les musiques du monde, et dans beaucoup de styles différents : jazz, chanson, et bien sûr en musique savante, soit contemporaine parce que beaucoup de compositeurs du XXe siècle ont écrit pour l’accordéon (développant les modes de jeux inédits), soit « classique » parce qu’on peut jouer le répertoire qui a été composé à l’origine pour le clavecin, le piano ou l’orgue.
C’est dans cette diversité qu’Yvette Horner trouve son bonheur. Adolescente, tout en animant les bals de sa région tous les week-ends, elle travaille les ouvertures des opéras de Rossini qu’elle présente aux concours. En 1948, lorsqu’elle remporte la coupe mondiale d’accordéon, c’est avec une Rhapsodie hongroise de Liszt et le Songe d’une Nuit d’été de Mendelssohn. Quelques années plus tard, elle devient la mascotte du Tour de France puis... professeur à la Schola Cantorum, où elle enseigne Boulez et Messiaen à l’accordéon.
Parmi ses trésors, la Médiathèque musicale de Paris conserve un album vinyle d'œuvres de musique savante, enregistré à l’accordéon et au piano par Yvette Horner en 1988 avec le célèbre label Erato, sous la direction artistique de Michel Garcin. Le Jardin secret d’Yvette Horner comprend des pièces de compositeurs baroques (Daquin, Scarlatti), romantiques français (Liszt, Saint-Saëns), espagnols (Albeniz, Granados), ou encore contemporains (les accordéonistes André Astier et Freddy Balta, mais également le danois Poul Rovsing Olsen).
On mesure bien, à l’écoute de pièces comme Le Coucou (Daquin) ou Procession (Saint-Saëns), l’impressionnante étendue des palettes sonores de l’instrument, qui se fait tantôt intimiste et délicat, tantôt puissant comme les grands jeux de l’orgue. On apprécie l’audace du choix des morceaux, notamment la pièce atonale de Rovsing Olsen, totalement inattendue. On aime jusqu’au kitsch de la pochette, du photo-montage au halo glamour qui entoure notre vedette !
(*) comprenons « musique classique » au sens large, pour désigner toute la musique savante occidentale et non simplement la période 1750-1800.
Ariane Badie
L'original de la semaine : Jazz Hot, la doyenne des revues de jazz
24 septembre 2022
Si Jazz Hot a une place de choix dans l’histoire du jazz, c’est d’abord parce qu’elle est la plus ancienne des revues de jazz encore en activité. Fondée en 1935 par Charles Delaunay et Hugues Panassié, une première série voit le jour, interrompue par la guerre en 1939. Une seconde série est publiée dès 1945, qui paraît toujours, mais uniquement sur Internet depuis 2008.
Chaque numéro fourmille d’anecdotes et de chroniques sur la scène musicale du jazz, et se décline en plusieurs rubriques régulières : « Nouvelles d’Amérique », « Le jazz dans le monde », « Le coin du professionnel », « Chronique des disques », « Cinéma et Radio », « Bulletin du Hot-Club de France », sans oublier les dossiers thématiques sur les musiciens et la tradition du jazz.
A propos de Salt Peanuts par Gillespie, André Hodeir écrit : « Ici, la nouveauté naît aussi bien du thème que de l’arrangement ou du style des chorus (…). Miracle du génie de deux créateurs comme la musique de Jazz n’en avait pas connu depuis la grande époque. » Ces deux novateurs qui vont révolutionner l’histoire du jazz sont Charlie Parker et Dizzy Gillespie !
Ce qui annonce déjà les âpres batailles entre partisans du bebop – ce jazz rebelle dont les autres chefs de file sont Bud Powell et Thelonious Monk - et ses détracteurs, Hugues Panassié en tête, jusqu’à la scission entre Jazz Hot et le Hot Club de France : Hugues Panassié démissionne de Jazz Hot en décembre 1946.
« Les revues de jazz sont rares, une revue comme Jazz Hot est exceptionnelle, à nous, amateurs de jazz, d’en profiter ! » Yves Sportis, rédacteur en chef.
La MMP possède la collection complète de Jazz Hot à partir de 1945.
Pour en savoir plus :
Artie Shaw et son orchestre, avec Billie Holiday au chant dans Any old time. Enregistré à New York le 24 juillet 1938. À écouter en ligne.
Night and day de Cole Porter, avec le Rex Stewart Quintet et Django Reinhardt, enregistré à Paris en 1948. À écouter en ligne.
Good time blues, enregistré par le quintette du Hot Club de France en mars 1948. À écouter en ligne.
On the Alamo interprété par Duke Ellington et son orchestre, avec solo de piano. Enregistré le 2 juin 1945. À écouter en ligne.
Les oiseaux en musique
24 septembre 2022
A l'occasion de l'exposition "Musicanimale : le grand bestiaire sonore" à la Philharmonie de Paris (20 septembre - 23 janvier 2023), retour en musique sur le chant des oiseaux à travers les époques.
Depuis plus d’un siècle, la bioacoustique, science de la communication sonore animale, est à l'écoute de la nature. Parmi toutes les espèces étudiées, cette discipline s’intéresse aux sons émis par les oiseaux, qui, par leurs variétés et leurs aspects enchanteurs, ont toujours émerveillé l’esprit humain. L’un de ses grands fondateurs, Bernie Krause, apôtre de l’écologie du paysage sonore, tente de nous sensibiliser à la disparition de nombreuses espèces. En effet, en ces temps de grands bouleversements écologiques, cette science observe nombre de conséquences sur les volatiles, animaux fragiles et vulnérables. On ne soulignera jamais assez l’impact de l’activité humaine sur l’extinction de certaines de ces espèces, dont le chant s’éteint à mesure que l’activité humaine progresse.
L’art, de son côté, n’a pas été en reste. La musique a toujours été fascinée par les chants et les sons produits par les oiseaux. Elle a véritablement su se les approprier et, d’une certaine manière, les conserver. Dès le Moyen-Âge, en effet, les compositeurs ont puisé leurs inspirations dans les sons des volatiles les plus divers, à la fois modèles et rivaux. Ils ont cherché à en rendre compte de différentes manières. C’est ce que nous nous proposons d’étudier maintenant.
Évoquer les oiseaux sans imiter leurs chants
Dans notre recensement, la première manière de mettre en scène les oiseaux dans la musique est la plus lointaine et la moins directe. C’est également la moins évidente à l’oreille. Il ne s’agit pas d’une imitation d’un chant à proprement parler mais d’une évocation plus globale du volatile. Elle passe par la création d’une atmosphère générale ou par la caractérisation d’un élément de l’anatomie ou du comportement de l’oiseau. L’exemple le plus célèbre en est sans nul doute Le Cygne de Camille Saint-Saëns extrait de la suite du Carnaval des animaux. La partie de ce morceau jouée au piano symbolise l’eau alors que l’oiseau est rendu par le violoncelle dont la technique du legato caractérise à merveille la façon avec laquelle l’animal évolue majestueusement sur l’eau.
Un autre exemple musical éloquent s’intéresse à la Corneille. Il est tiré du lied Die Krähe, pièce du célèbre cycle de Franz Schubert Le Voyage d’Hiver, composé sur des poèmes de Wilhelm Müller. L’oiseau y est symbolisé par la main droite du pianiste accompagnateur qui imite les cercles concentriques décrits par le volatile autour du vagabond.
L’évocation du monde des oiseaux peut également se faire plus diffuse et plus complexe dans une œuvre musicale. Le meilleur exemple peut en être la pièce pour clavecin de Rameau : Le Rappel des oiseaux. Elle est extraite de la première suite datée de 1724. Cette fois c’est par différents procédés qu’est rendue l’agitation continuelle des animaux (répétition obstinée de rythmes, phrases très rapides que le compositeur a appelées des roulements, polyphonie à trois voix, chromatismes et intervalles dissonants). Ce type de pièce qui ne porte pas un nom de danse au sein d’une suite (gavotte, menuet, sarabande…) est appelé « pièce de genre ».
Imiter les chants d’oiseaux
La présence des oiseaux dans la musique est également celle de leur chant lui-même, imité par les compositeurs dans leurs œuvres.
Une des premières pièces qui emprunte à cette technique se rencontre à la Renaissance. Il s’agit de la polyphonie profane de Clément Janequin intitulée Le chant des oiseaux. Le compositeur a recours à la fin de la pièce à des onomatopées qui sont directement interprétées par les différentes voix des chanteurs et qui imitent les chants du sansonnet, du rossignol ou encore du coq.
Plus généralement, les compositeurs usent des bois de l’orchestre pour imiter les oiseaux. La coda du second mouvement de la Symphonie pastorale de Ludwig van Beethoven met par exemple en scène différents chants d’oiseaux. La flûte imite le rossignol, auquel répondent la clarinette dans le rôle du coucou et le hautbois dans celui de la caille. Le maître de Bonn a lui-même inscrit ces trois noms d’oiseaux sur sa partition.
Transcrire les chants d’oiseaux : Olivier Messiaen
« Écoutez les oiseaux, ce sont de grands maîtres ! »
« La musique, en son double aspect de message, de communication et de silence, de joie artistique, est certainement sortie du chant des oiseaux… »
Olivier Messiaen
Faisant écho à cette réflexion que lui fit un jour son professeur Paul Dukas, Olivier Messiaen semble naturellement se définir : compositeur, ornithologue, professeur…
« L’Abîme c’est le Temps, avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps ; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises » (Messiaen, préface de la partition).
Né en 1908 à Avignon, Olivier Messiaen, après de brillantes études au Conservatoire de Paris, est nommé en 1930 titulaire des grandes Orgues de la Trinité, tribune qu’il tiendra pendant 30 ans, sauf pendant la Seconde guerre mondiale, où il est fait prisonnier par les allemands et déporté au camp de Görlitz en Silésie. C’est durant sa captivité qu’il compose l’un de ses chefs d’oeuvre : Le Quatuor pour la fin du temps, qui trouve sa source dans une citation du chapitre X de l’Apocalypse de Saint Jean. Cette œuvre représente également la première manifestation de chants d’oiseaux (notamment dans le 3ème mouvement, « Abîme des oiseaux »).
Messiaen est le premier compositeur à avoir pleinement saisi les difficultés que pose la fidélité à la nature dans l’acte de transcription, et le premier à avoir travaillé sur des notations de chants vraiment scientifiques, proches de l’exactitude. Voici un lien vers les chants d’oiseaux originels suivis du chant retranscrit pour le piano : loriot d’Europe, rougequeue, troglodyte mignon, rouge-gorge, merle noir, grive musicienne, fauvette des jardins et pouillot véloce sont ainsi écoutés, notés sur partition et joués au piano.
Outre la composition et l’enseignement, Messiaen se concentre sur la recherche des vérités divines, l’amour du son-couleur, la métrique grecque, et bien sûr la prospection ornithologique.
Son magnifique Catalogue d’oiseaux dédié à Yvonne Loriod est composé entre 1956 et 1958, œuvre pour piano de treize pièces, dont chacune porte le nom d’un oiseau. Olivier Messiaen cherche ainsi « à rendre avec exactitude le chant de l’oiseau type d’une région, entouré de ses voisins d’habitat, ainsi que les manifestations du chant aux différentes heures du jour et de la nuit ».
« Entre 3 et 4 heures du matin, le réveil des oiseaux ; un merle, ou un rossignol soliste, improvise, entouré de poussières sonores, d’un halo de trilles perdus très haut dans les arbres. Transposez sur le plan religieux : vous aurez le silence harmonieux du ciel … » (Messiaen, à propos de la Liturgie de cristal).
On peut également citer dans l’œuvre de Messiaen des pièces comme Le Merle Noir, Le Réveil des Oiseaux, certains passages des Visions de l’Amen, de Saint François d’Assise ou encore ses Oiseaux Exotiques, une œuvre dans laquelle un piano et un petit orchestre interprètent quarante-six espèces d’oiseaux du monde entier !
Intégrer la nature à la composition
Le 1er enregistrement connu de chant d’oiseau date de 1889 : il est attribué à Ludwig Karl Koch, qui capte le son d’un oiseau Shama en captivité dans un zoo allemand. Il sera au début des années 30 à l’origine du livre sonore, concept de livre illustré accompagné de disques enregistrés sur phonographe, en quelque sorte l’ancêtre du document multimédia.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’ornithologue américain Arthus Augustus Allen mène avec ses étudiants des études sur les enregistrements des chants d’oiseaux qui aboutiront au 1er enregistrement sur phonographe de chants d’oiseaux en 1932.
Les compositeurs ne tarderont pas à s’emparer de ces nouvelles possibilités qu’offre la technologie. Dès 1924, Ottorino Respighi (1879-1936) utilise des enregistrements de chants d’oiseaux dans le 3ème mouvement de son poème symphonique Les Pins de Rome.
L’invention de la bande magnétique en 1930 permet non seulement d’enregistrer, mais de monter et d’orchestrer des sons enregistrés.
Edgard Varèse (1883-1965) combine des enregistrements de chants d’oiseaux avec de la musique jouée sur scène dès 1954 pour Déserts.
« … les oiseaux rappellent ce qu’on entend dans le Cercle Arctique et dans les marais de Liminka… Les flûtes solo sont progressivement rejointes par les autres instruments à vent et le son des oiseaux… Finalement, les cordes entrent sur une mélodie qui doit figurer une personne marchant librement… » (Rautavaraa).
C’est aussi ce que fait Einojuhani Rautavaraa, compositeur finlandais né en 1928, dans son Cantus Arcticus en 1972. Sous-titrée « Concerto pour oiseaux et orchestre », cette œuvre « mixte » fait appel à un matériau sonore préenregistré diffusé sur des hauts parleurs (les chants d’oiseaux, qui apparaissent au bout de 1’06’’) et un orchestre symphonique qui joue en direct.
Depuis, le procédé est devenu presque banal, notamment dans la musique électro-acoustique, comme chez François Bayle (Trois rêves d’oiseaux ) ou chez Bernard Fort, compositeur, audionaturaliste et ornithologue, par exemple dans Le miroir des oiseaux (Composition pour ondes Martenot, thérémine, piano préparé et bande sonore, combinant le rossignol et une composition pour un bol de prière tibétain) :
En poussant à l’extrême ce procédé d’utilisation d’enregistrements de la nature, le compositeur Fernand Deroussen invente le concept d’audionaturalisme, véritable art sonore du monde sauvage. Plus esthétique, contemplative, et moins scientifique que la bioaccoustique, cette discipline cherche à capter avant tout la musicalité de la nature, à travers notamment les interactions sonores entre animaux et éléments naturels tels que le bruit du vent, les sons de la pluie ou des vagues, les chants d’oiseaux, symbolisant le grand orchestre symphonique du vivant.
Au terme de ce voyage ornithologique, et pour aller plus loin dans l’exploration de l’univers sonore animal, il importe de citer l’exposition Musicanimale : Le grand Bestiaire sonore que propose la Philharmonie de Paris du 20 septembre 2022 au 29 janvier 2023 : vocalises d’oiseaux, stridulations d’insectes, hurlements chorals de loups, chants mélodiques de baleines y sont déclinés avec intelligence et facétie. Vous y retrouverez notamment une partition de John Cage - Litany for the whale – issue des collections de la MMP. C’est l’occasion également de s’interroger sur le devenir de la biodiversité et la disparition d’un patrimoine sonore en danger.
En 2020, la Médiathèque musicale de Paris organisait un cycle "Musique et nature". Dans nos archives, retrouvez notamment l'interview avec Jean Roché, effectuée à cette occasion. A découvrir un mix des collections de la médiathèque.
Anne Seguin, Médiathèque musicale de Paris,
et Matthieu Langlois, bibliothèque André Chedid
Journées Européennes du Patrimoine : le pianoforte à l'honneur
16 septembre 2022
Du 16 au 18 septembre, pendant les Journées du Patrimoine, la Médiathèque musicale de Paris fête le pianoforte : concerts, conférences, table ronde, masterclasse, et donne à voir et à entendre les instruments replacés dans leur contexte historique. Découvrez le programme !
Le pianoforte tire ses origines du clavecin, à cordes pincées, et du clavicorde, à cordes frappées. Le premier gravicembalo col piano e forte naît en Italie en 1709 sous la main de Bartolomeo Cristofori. C’est donc un clavecin (gravicembalo) sur lequel les sautereaux qui pincent les cordes sont remplacés par de petits marteaux, avec un système (appelé échappement) permettant à chaque marteau de quitter la corde dès qu’il la frappe. Cette mécanique ouvre la porte à un grand panel de nuances, que l’on peut contrôler du piano jusqu’au forte grâce à la vitesse d’attaque et au poids donné sur les touches.
L’instrument ne connaît guère de succès en Italie. C’est surtout en Allemagne qu’il se développe, à partir de 1730 dans l’atelier de Gottfried Silbermann. Puis les facteurs se succèdent : Stein (années 1770), Walter (années 1790), Graf (à partir de 1805). Simultanément, outre-Manche, Backers (élève de Silbermann), Broadwood et Stodart contribuent de leur côté au développement de la mécanique anglaise, qui conduira aux pianos modernes au détriment, finalement, de la mécanique viennoise.
En France, Marie-Antoinette, elle-même musicienne, se lie d’amitié dès 1774 avec Sébastien Erard, facteur de pianos, futur facteur du roi et inventeur du double-échappement en 1821. Partout en Europe, les salons jouent un grand rôle dans la diffusion de la musique.
Au tournant du siècle, en plein âge d’or, le pianoforte, instrument bourgeois par excellence, a supplanté ses ancêtres. Les facteurs rivalisent d’inventivité, et d’innombrables modèles voient le jour : pianos à queue, pianos carrés, pianos de table, pianos-lyres, pianos-girafes, pianos verticaux…
Peu à peu, les innovations techniques donnent naissance à des instruments plus solides, plus grands, plus lourds, plus éclatants. L’étendue du clavier s’élargit, les cordes sont renforcées, la table d’harmonie s’épaissit, le cadre qui soutient les cordes gagne en résistance, la mécanique est perfectionnée (marteaux, échappement, pédales…). Au fil des décennies, ces multiples améliorations modifient la sonorité des instruments, qui devient de plus en plus riche, plus volumineuse, plus puissante. Certainement parfois même trop puissante pour la musique de l’époque classique...
Forts de ce constat, de nombreux musiciens se passionnent aujourd’hui pour une approche historique de l’interprétation, et cherchent à retrouver une sonorité la plus authentique possible. Pour répondre à cette demande, certains facteurs se spécialisent dans la réalisation de copies d’instruments anciens. On retrouve ainsi l’univers sonore des compositeurs à leur époque, et la sonorité perlée, légère, délicate, parfaitement adaptée aux répertoires des classiques, de Clementi à Schubert, voire Mendelssohn, en passant par Haydn, Mozart et Beethoven. Aux répertoires, au pluriel, car la facture instrumentale a bien sûr épousé les multiples intentions musicales et exigences d’écriture des uns et des autres, et offre par là même une richesse de couleurs et de timbres très différents, dans tous les registres.
A l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, la Médiathèque musicale de Paris fête le pianoforte : concerts, conférences, table ronde, masterclasse, et donne à voir et à entendre les instruments replacés dans leur contexte historique : le pianoforte (aimablement prêté par le conservatoire municipal Charles Munch du 11ème arrondissement), l’épinette (prêtée par le conservatoire municipal Jean-Philippe Rameau du 6ème arrondissement) et le clavicorde (prêté par l’association Clavecin En France).
Programme complet par ici.
Mix à écouter : sélection d'enregistrements.
Ariane Badie
Le Fado et le lyrisme
5 juillet 2022
Pour clôturer en musique la saison France-Portugal en bibliothèque, introduction à l'art très particulier du Fado. Deuxième épisode : le fado et le lyrisme.
Le Fado a toutes les caractéristiques d’une poésie lyrique : il incarne l’expression ardente et exaltée des sentiments, il traite de thématiques existentielles et du tourment qu’elles provoquent, et il est bien sûr destiné à être chanté et accompagné en musique.
Les thématiques du lyrisme fadiste traditionnel
Fernando Pessoa le disait si joliment : « La saudade, c’est la poésie du Fado ». Ce mot spécifiquement portugais, mélange indescriptible de mélancolie et de nostalgie, couvre en réalité un répertoire de sentiments bien plus vaste. La saudade est indissociable du genre du Fado et lui donne sa tonalité douce-amère.
Le Fado parle d’amour. L’amour dans ses multiples variantes, mais surtout lié à la fatalité du destin (fado vient d’ailleurs de fatum) et aux scenarios tristes ou douloureux : amour non partagé, amour interdit, jalousie, infidélité et trahison, vengeance et mort.
Le Fado est souvent empreint aussi de dévotion religieuse, caractéristique des courants de la spiritualité catholique à la fin du XIXe siècle au Portugal.
Enfin, le décor de la poésie lyrique comprend souvent des éléments naturels. La mer étant inscrite dans le lyrisme portugais, elle a une place de choix dans le Fado. Certaines études disent même que c’est elle qui a donné naissance au Fado. Au-delà des symboliques habituelles (reflet de l’état d’âme du poète, miroir de son sentiment), la mer est souvent personnifiée dans les poèmes.
Le lyrisme musical et théâtral
Fado n’échappe pas aux caractéristiques du discours lyrique : syntaxe, énonciation, ponctuation, champs lexicaux traduisent les mouvements du cœur et de l’âme (le poète s’adresse d’ailleurs souvent à son Moi, en parlant justement à son cœur ou à son âme). Dans le Fado Traditionnel (Fado Tradicional), la musique et les paroles sont dissociées, chaque fadiste s’approprie la musique et le poème qui l’accompagne. Cela passe par le choix des textes, mais également par des éléments musicaux spécifiques, destinés à accentuer le contenu émotif des vers :
- Les mélismes et autres ornementations vocales sont certainement dans le Fado un signe de l’héritage du peuple maure.
- La « stylisation » (estilização) de la mélodie : à chaque strophe, le fadiste crée des variations différentes, et le degré de transformation mélodique s’amplifie au fil du chant.
- La « division » (divisão) du texte : le fadiste peut changer le rythme de son énonciation, séparer ou regrouper des mots en plaçant des pauses où il le souhaite, en s’appuyant sur la pulsation rythmique inchangée des guitaristes.
- L’accentuation, les nuances et variations de tempo, menées par le chanteur jusqu’à la dernière strophe, qui comprend un ralenti général, un crescendo, une emphase, et un point d’orgue annonçant la fin du chant.
Enfin, n’oublions pas le lyrisme de la gestuelle et de la posture, la mise en scène qui accompagne l’interprétation, codifiée dans les années 1930 : les yeux mi-clos, les mains jointes, la tête en arrière.
Tel Orphée, incarnation du poète lyrique, le fadiste chante sa douleur et sa solitude, accompagné par des guitares, et son chant est aussi un remède : il exorcise la souffrance en la transformant en matière poétique.
Ariane Badie
Fado : l'accompagnement musical
5 juillet 2022
Pour clôturer en musique la saison France-Portugal en bibliothèque, introduction à l'art très particulier du Fado. Premier épisode : l'accompagnement musical.
Dans le Fado, la voix, féminine ou masculine, est traditionnellement accompagnée par deux guitaristes dont un joue sur une guitare portugaise, l’autre sur une guitare classique.
Issue de la grande famille des instruments à cordes pincées, plus particulièrement du cistre (XVe siècle) et de la mandoline, la guitare portugaise « guitarra » possède douze cordes métalliques accordées deux par deux. Il en existe deux modèles principaux, toutes deux en forme de poire qui évoque un coeur : celle de Lisbonne, accordée en Ré-La-Si-Mi-La-Si dont la tête se termine par une volute et celle de Coimbra, accordée en Do-Sol-La-Ré-Sol-La dont la tête se termine par un écu ou une goutte d’eau à plat. L’instrument est facilement reconnaissable de par l’originalité de la disposition en éventail de ses clés d’accordage.
La guitare classique, appelée viola, possède 6 cordes en nylon accordées en Mi-La-Ré-Sol-Si-Mi
Pour jouer de la guitare portugaise, le guitariste de fado utilise un onglet, une sorte de médiator qu’il enfile sur le pouce droit, ainsi que l’ongle de l’index de la même main.
Il joue un rôle déterminant de par sa technique et sa capacité à s’adapter au chanteur. Il peut parfois partir dans des envolées mais en tachant de toujours revenir à la double alliance établie par les accords du deuxième musicien et les mots du fadiste. Ce qui parfois peut relever de la haute voltige musicale et s’avérer une véritable prouesse.
Carlos Paredes (1925-2004) est un exemple de grand guitariste compositeur portugais, né à Coimbra : Il a appris à jouer de la guitare portugaise à l’âge de 5 ans. Il appartient à la génération d’artistes portugais qui a contribué à faire connaître dans le monde entier le fado, ce chant traditionnel portugais.
Stéphane Tillie
L'original de la semaine : la revue Arts phoniques
4 mai 2022
Avec l’invention du phonographe et l’apparition des enregistrements, les media s’emparent de cette nouvelle offre culturelle. Dans les années 1920, plusieurs revues voient le jour, consacrées à la critique des disques et de la musique enregistrée : notamment Arts phoniques, un mensuel qui parut deux ans (1928-1929), conservé intégralement à la Médiathèque musicale de Paris et récemment numérisé.
Arts phoniques, sous-titrée « la première revue d’art uniquement consacrée au phonographe », propose trois types de rubriques qui témoignent des préoccupations lié
es à la pratique nouvelle.
Se voulant « intermédiaire entre vous et l’éditeur de disques » (n°1, février 1928), Arts phoniques présente dès son troisième numéro, une recension des sorties discographiques commentées par quelques plumes prestigieuses comme Francis Poulenc qui s’occupe de la musique instrumentale ou Georges Auric sur la musique vocale.
Tout aussi prestigieux, des auteurs célèbres signent des essais sur le phonographe et les nouvelles possibilités qu’il offre, sur la nouvelle écoute qui se développe : Paul Morand souhaite « Qu’on enregistre la musique africaine », Pierre Mac Orlan s’intéresse à « la musique militaire », et Bernard Zimmer clame « Je n’irai plus au concert ! », abordant un thème récurrent de l’époque : la supériorité de l’écoute au disque…
Enfin, face à un outil neuf, les rubriques techniques prodiguent des conseils aux nouveaux utilisateurs (Comment choisir ou améliorer votre phonographe ?, n° 1, février 1928) et dévoilent les secrets de fabrication (n°9, octobre 1928).
Le charme de cette revue tient également dans le magnifique graphisme art déco, signé Raymond Erny, illustrateur attitré des rubriques et publicités de cette rare revue musicale.
Michel Atexide et Ludovic Bichler
Le langage musical de Boby Lapointe
21 avril 2022
Avec leurs allitérations, virelangues et autres tautogrammes, les textes de Boby Lapointe font le régal des amoureux de la langue française.
Ils peuvent être un simple prétexte à la rigolade en famille, ou bien fournir de la matière pédagogique de la maternelle à la classe prépa littéraire.
Mais la recherche de l’euphonie étant commune aux linguistes et aux musiciens, c’est bien lorsqu'un texte est chanté qu'on le lie à la musique. La mélodie, la nuance, le phrasé, l'accentuation, l’attaque, le rythme, donnent au texte sa texture sonore et donc sa musicalité.
Chez Boby Lapointe, les éléments constitutifs de la musique « hors paroles » (mélodie, harmonie, rythme, structure) sont souvent classiques, plaisants pour l’oreille, faciles à mémoriser : musiques à danser, musiques de fanfare, avec le charme particulier des répertoires populaires qui fait pardonner une justesse vocale parfois approximative... mine de rien ! Car tous les enregistrements témoignent en fait d’un important travail sur la sonorité, notamment des orchestrations toujours très soignées et de remarquables arrangements.
Il faut dire que Boby a baigné dans la musique depuis tout petit. Comme le souligne Jean-Daniel Beauvallet dans Les Inrockuptibles n°61 décembre 1994, « Ça se passe comme ça chez les Lapointe, en fanfare, dans un chaos d’instruments impossibles : cornet à pistons, hélicon, violon, avec tambours et trompettes ». Les références à la musique sont donc nombreuses et témoignent d’une grande culture.
Il manie avec talent l’art de l’onomatopée, reine du figuralisme musical depuis Clément Janequin et son Chant des Oyseaulx. Il utilise même sa voix comme un instrument de musique. À vent (le « pon-pon-pon-pon » de L'Hélicon), à cordes (« l’hawaïle » de La Peinture à l’huile qui reproduit le jeu « slide » des guitares hawaïennes), à percussion avec les consonnes occlusives de Ta Katie t’a quitté, ou plus doux et mélodieux avec les consonnes liquides de Méli Mélodie.
Le « Di da di doum dan din dang dang » de T’as pas, t’as pas tout dit est peut-être le paroxysme de ces figures de style, à l’instar du « two to two to two two » : le chant s’affranchit des paroles, se transforme en scat, le texte devient la matière sonore par-delà le sens des mots. D’un point de vue linguistique, si l’on se réfère au célèbre schéma de Jakobson qui met en évidence les fonctions des différents facteurs de la communication, on touche ici à la fonction poétique du langage : l’effet esthétique du message lui-même. Boby Lapointe, « [lui] que l’on traite de poète car [il fait] des vers » est bien un esthète.
« De la musique avant toute chose »… « et tout le reste est littérature », disait Verlaine. Ce à quoi réplique notre esthète et roi du kakemphaton, en un clin d’œil averti dans Monsieur l’agent : « Au violon mes sanglots longs | Bercent ma peine | J'ai reçu des coups près du colon | J'ai mal vers l'aine ».
Ariane Badie
Gabriel Yared illumine "Le dernier piano"
21 avril 2022
A l'occasion de la sortie du film "Le dernier piano" de Jimmy Keyrouz, mis en musique par Gabriel Yared, la Médiathèque Musicale de Paris met à l'honneur le compositeur avec une sélection et un mix.
Le dernier piano (Broken keys en version originale), est un film réalisé par Jimmy Keyrouz sorti en salle le 13 avril 2022 (distribué par Alba Films).
En sélection officielle au festival de Cannes 2020, le film raconte la quête de Karim, un pianiste aspirant à une carrière en Europe, qui se bat pour reconstruire son piano détruit par un soldat de l’État Islamique. Un film fort dans lequel la musique, salvatrice, tient un rôle central dans le combat contre l'extrémisme.
"LE DERNIER PIANO est un film sur un pianiste qui rêve d’une carrière en temps de guerre. C’est un film qui traite également de la quête extérieure et intérieure de la liberté et de la paix par le protagoniste. Les acteurs et l’équipe ont pris un grand risque lors du tournage à la frontière entre la Syrie et l’Irak, car ces régions sont fortement touchées par la guerre en cours…"
Gabriel Yared (compositeur)
La sortie du film est l'occasion de mettre à l’honneur le brillantissime compositeur de musiques de films, Gabriel Yared.
Compositeur autodidacte est né au Liban en 1949, Gabriel Yared signe sa première partition pour le film de Jean-Luc Godard Sauve qui peut (la vie) (1980). Suivra ensuite celle de Malevil de Christian de Chalonge, qui entraînera une fructueuse collaboration avec Jean-Jacques Beineix, d’abord pour La lune dans le caniveau puis 37°2 le matin. Depuis, Gabriel Yared consacre l’essentiel de son activité à la composition de musiques de films (plus d’une centaine) et impose sa signature à l’international. Il a été distingué par de prestigieuses récompenses : un César en 1993 pour L’Amant de Jean-Jacques Annaud, et un Oscar, un Golden Globe et un Grammy Award pour la musique du Patient anglais d’Anthony Minghella en 1997. Aujourd’hui, Gabriel Yared est l’auteur de la musique originale du film Le dernier piano.
Ismène Alessandri
Folkways Records : un label américain à l’écoute du monde !
25 février 2022
La Médiathèque Musicale de Paris invite à un vertigineux voyage au cœur de Folkways Records. En 40 ans d’activité, ce label new-yorkais créé par Moses Asch a constitué un catalogue cosmopolite de musiques venues du monde entier. Du field recording à la musique pour enfants, en passant par d’incontournables légendes du blues, du jazz et de la folk music, cette exposition présente plus de 250 vinyles conservés dans les collections patrimoniales de la médiathèque.
Ce large panorama musical, illustré notamment par les pochettes réalisées par Ronald Clyne et David Gahr, associe les grands classiques de Leadbelly, Lightnin’ Hopkins, Pete Seeger et Woody Guthrie avec de nombreuses autres curiosités témoins des « archives sonores du monde ».
Parmi les plus importantes expositions de vinyles jamais organisées par la Médiathèque Musicale de Paris depuis sa création, Folkways Records : un label américain à l’écoute du monde ! revient sur l’histoire d’une maison de disque unique en son genre. Fondée en 1948 à New York par Moses « Moe » Asch, elle constitue un fabuleux héritage de plus de 2000 références discographiques publiées en 40 ans d’activités. Difficile d’en parler sans évoquer la vie de son fondateur. Né en 1905 en Pologne et fils d’un écrivain et dramaturge yiddish, Moses Asch suit ses parents en 1915 à Paris, puis à New-York, avant de faire des études d’électrotechnique en Allemagne. Il se voit reprocher d’être juif et américain. De retour à New-York, il est embauché dans les années 30 par la radio WEVD (Woodhaven Emitting Victor Debs) pour réparer des émetteurs. Elle lui propose aussi un contrat pour enregistrer de la musique yiddish à diffuser lors de grandes fêtes. Moses monte alors un petit studio où il enregistre bon nombre d’artistes, bien au-delà du genre, au point de fonder Asch Records en 1938.
Durant les années 40, le succès de son label est grandissant. Il publie notamment les disques de Leadbelly, un bluesman dont le vaste répertoire rivalise avec une vie empreinte de violence. En 1943, Asch s’associe avec Stinson Records, et lance le label DISC ; mais ce dernier fait faillite après l’échec d’un album de Noël interprété par Nat King Cole, qui ne put être livré à temps à cause d’une tempête de neige. Cette déconvenue le rend prudent et lui donne envie d’une grande autonomie dans la gestion de son nouveau label, baptisé Folkways Records. Fort d’une collection monumentale d’enregistrements, il continue à sortir les albums de pionniers du blues comme Lightnin’ Hopkins ou Champion Jack Dupree, un ancien boxeur reconverti dans la musique. Son studio accueille aussi des stars du jazz comme Art Tatum et Mary Lou Williams, l’une des premières femmes pianistes reconnues sur la scène américaine. Suivent aussi les figures de la folk music en mode prostest-singers avec Cisco Houston, Woody Guthrie et bien sûr Pete Seeger.
Les albums produits par Moses se distinguent aussi à travers son goût pour les enregistrements flat, sans artifices.
En revanche, Asch soigne particulièrement le design de ses publications afin de se démarquer des autres maisons de disque. Il veut que la pochette soit le plus proche possible des contenus musicaux de chaque disque, grâce à des artistes comme le graphiste Ronald Clyne ou le photographe David Gahr. Ses pratiques de sélections sont également très singulières. Il édite quantité de documents sonores à vocation plus scientifique que lui amènent des ethnomusicologues, photographes, explorateurs ou aventuriers venus du monde entier. Il intègre aussi à son catalogue des chansons pour la jeunesse, à la fois pédagogiques et divertissantes, de la musique classique avec le compositeur Charles Ives ou avant-gardiste avec John Cage. Ses critères de choix sont simples : se fier à son intuition, connaitre la personne qui fournit le matériel et chercher l’originalité pour la collection. Selon son fils, l’ethnomusicologue Michael Asch, c’était l’une de ses principales motivations, nourrie par ses lectures sur la Seconde Guerre mondiale, en particulier sur l’holocauste. « Regarde cette horreur ! » lui disait-il. « Il faut faire quelque chose pour que, si jamais cela devait arriver à d’autres, ils aient quelque chose à quoi se raccrocher! »
L’impact de Folkways Records est tout à fait significatif, pour la musique folk américaine, de la publication des anthologies d’Harry Smith à la mise en lumière de nombreux artistes des années 1920 et 30. Le label a aussi accompagné le folk revival new-yorkais des années 60. Mais aussi et surtout il fait connaître les musiques du monde, parcourant tous les courants et les pays.
Après la mort de Moses Asch en 1986, catalogue et archive ont été légués par sa famille au Smithsonian Center for Folklife and Culture Heritage, une unité de la Smithsonian Institution. En échange de cette acquisition, l’institution perpétue sa volonté et poursuit l’édition des références Folkways.
La Médiathèque Musicale de Paris, elle-aussi proche de l’idéal cosmopolite de Moe, a pour habitude d’ouvrir des pistes au sein du monde de la musique. Cette exposition sur le label Folkways nous en donne à voir et à entendre au gré d’un superbe voyage à travers le temps et les continents.
Julien Gaisne
L'original de la semaine : une carte postale sonore
16 février 2022
Comment la carte postale et le disque se sont-ils unis ?
En 1870, après la défaite de Sedan, plusieurs milliers de soldats écrivent à leurs proches. Léon Besnardeau, un imprimeur-libraire se trouvant en pénurie de papier, a l’idée de massicoter des cahiers : la carte postale est née. Le 19 décembre 1872, une loi officialise et réglemente son usage – notamment l’affranchissement payant.
Quant au disque, dès la diffusion des premiers vinyles, vers 1950 en France, les cartes-disques apparaissent : on s'aperçut que le pelliculage plastique recouvrant les cartes postales pouvait recevoir une gravure sonore, sans en modifier ni l'épaisseur ni la composition chimique. Plusieurs marques s’en emparent : Phonoscope, Punch, Mexisonore,… et font appel à des illustrateurs, photographes, graphistes, pour enrichir le visuel.
La MMP conserve une quinzaine de cartes postales sonores, aux beaux paysages. L’Original présenté est une photographie colorisée d’une vue emblématique d’un Paris verdoyant, un large bras de la Seine au premier plan, l’Ile de la Cité dans le lointain.
La chanson enregistrée « Marjolaine »(1), musique et paroles de Francis Lemarque et Rudi Révil, est l’adaptation de la chanson allemande « Der treue Husar » du film « Les sentiers de la gloire » de Stanley Kubrick ; initialement chantée par sa future femme. Elle est ici chantée par Renée Lebas. A noter que la légende indiquée au verso de la carte est fausse ; elle référence une autre chanson, « Le Gondolier », un classique des cartes postales sonores.
Paris au printemps, ville éternelle des amoureux : 200 auditions parfaites garanties par l’éditeur et 20 Francs pour l’expédier en 1955 ! que l’on retrouve, 70 ans plus tard, dans les collections patrimoniales de la MMP.
(1) Voir les paroles de la chanson Marjolaine.
Marc Lagrange
Une acquisition patrimoniale remarquable
28 janvier 2022
La Médiathèque musicale a fait en 2021 l’acquisition d’un splendide gramophone à pavillon.
Avec une collection de près de 18000 disques 78 Tours, la Médiathèque musicale se devait de pouvoir faire écouter ces témoins de l’histoire de l’enregistrement sur un matériel d’époque.
Les premiers phonographes furent inventés dans les années 1877-80 par Thomas Edison aux Etats-Unis, et Emile Berliner en Europe. Mais c’est bien avec l’invention du disque plat que les ‘machines parlantes’ connurent leur essor.
Le gramophone acquis par la MMP date de 1912, modèle Opéra 2, commercialisé par la société E. Chanoit et Cie.
Constitué d’un plateau tournant, d’un bras tubulaire, avec le dispositif mécanique d’une manivelle actionnant un ressort à remonter pour entrainer le plateau, il est surmonté d’un magnifique pavillon en tôle peinte de plusieurs nuances de bleu. Attribut emblématique du gramophone, le pavillon sert à canaliser et amplifier le son.
La tête de lecture, qui va se poser sur le disque et lire l’enregistrement, est à aiguille. Les aiguilles existent en plusieurs duretés (de l’ultra-dure à l’ultra-douce) et elles doivent être utilisées avec précaution et choisies en fonction de la période de pressage des disques. Les aiguilles les plus modernes peuvent être utilisées cinq fois. Les aiguilles courantes, plus dures, ne peuvent être utilisées que pour une seule écoute.
Le gramophone repose sur une sellette, coffre d’assise du dispositif. L’ouvrage est en bois gravé de motifs floraux, typiques de l’Art nouveau, dont le dessin et les pampres entrelacés font écho au pavillon qui surplombe, tel un volubilis géant.
Présenté à l’occasion des Journées du patrimoine, ou lors de journées d’étude, le gramophone 1912 de la MMP permet dorénavant de faire résonner les enregistrements de ses collections patrimoniales.
Anne-Laure Charrier
Dis-moi Joséphine !
26 novembre 2021
À l’occasion des célébrations autour de son entrée au Panthéon, la Médiathèque musicale de Paris met à l’honneur Joséphine Baker, première star internationale noire française.
Inaugurée le 6 mai 1931, l'Exposition coloniale tente de promouvoir une image de la France conquérante à l’apogée de sa puissance.
Ce n’est pas un hasard si quelques mois plus tôt la revue Paris qui remue est montée et que cette gigantesque célébration de l'empire colonial français sert de thème au spectacle joué au Casino de Paris, un haut lieu du divertissement et le berceau des revues modernes. On choisit comme meneuse de revue Joséphine Baker qui est alors une immense vedette et symbolise un exotisme sauvage et nu.
La revue évoque les possessions lointaines comme la Martinique, l'Afrique, Madagascar, l’Indochine. D'ailleurs, dans ce spectacle, la première chanson interprétée par Joséphine Baker n’est autre que La petite Tonkinoise qui évoque une histoire d'amour entre une Vietnamienne et un colon français. La chanson n'est pas créée pour l’occasion (composée pour Polin en 1905 par Vincent Scotto) mais elle est reprise car appropriée à la situation. Rappelons que Francis Salabert édite tout ce qui se fait de plus clinquant dans la chanson des années 30 et représente, entre autres, le compositeur Vincent Scotto. Pour Paris qui remue, il faut aussi des chansons originales et trois jours avant le spectacle, il n’y a pas de chanson phare. On appelle au secours Vincent Scotto et Géo Koger, les auteurs à la mode qui composent dans l’urgence J’ai deux amours : la chanson restera à jamais LE succès de la chanteuse. Les paroles rappellent à la fois le statut « exotique » de Joséphine Baker et son attachement à sa ville adoptive.
Dans le fox-trot Dis-moi Joséphine, on retrouve la description d’une Joséphine bondissante, sensuelle et quelque peu caricaturée :
D’un lointain séjour je fus suivi jusqu’à Paris / Par une gentille créole dont j’étais épris / Avec son petit corps acajou, ses grands yeux doux / Elle saute et bondit ainsi qu’un sapajou / Elle reste dans mon appartement sans vêtements / Et sur le balcon montre aux voisins ses jolis seins / Dans la rue avec admiration… Quelle émotion…
La partition est illustrée par Zig. On y voit la chanteuse, toute en courbes et déliés, avec son célèbre guépard Chiquita, le fauve de compagnie offert par Henri Varna, comédien, parolier et directeur du Casino de Paris en 1930.
Noël Lopez
La Médiathèque musicale partenaire de l’Inventaire national des orgues
23 novembre 2021
La France compte plus de 8500 orgues sur tout le territoire national, dont plus de 1600 sont classés ou inscrits au titre des Monuments historiques. L’Inventaire national des orgues a pour objectif de rassembler de manière collaborative toutes les données actuellement disponibles sur ces instruments. Le projet est porté par l’association Orgue en France, en partenariat avec la Fédération francophone des amis de l'orgue, le ministère de la Culture et le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Sa gestation a mobilisé de nombreux acteurs du monde de l’orgue : organistes, chercheurs et enseignants, facteurs et maîtres d’œuvre. La Médiathèque musicale de Paris a participé à ce projet, avec le prêt des inventaires départementaux et régionaux édités entre 1985 et 2006, conservés dans ses collections, qui ont pu ainsi être numérisés et ont servi de base (entre autres) aux notices de l’Inventaire national aujourd’hui en ligne.
Depuis quelques semaines, il est possible d’enrichir cet inventaire en ligne par des contributions volontaires. L’ambition de ce projet est d'actualiser et de compléter les inventaires existants. Il permettra en outre l’enrichissement continu des bases de données nationales comme régionales.
Avec l’Inventaire national des orgues, partez à la découverte d’un univers passionnant et, pourquoi pas, devenez contributeur ! Pour vous accompagner dans cette démarche, une session de présentation de ce bel outil, sous forme d'un atelier autour des orgues de trois régions françaises (Bretagne, Corse et Pays basque), vous est proposée à la Médiathèque musicale de Paris
Évènement
Mardi 23 novembre 2021 à 14 h
Une visite de l’orgue de tribune de l’église Saint-Eustache par l’organiste titulaire Baptiste-Florian Marle-Ouvrard conclura cet après-midi collaboratif.
Venez à la MMP avec vos ordinateurs portables pour vous connecter au site et enrichir les notices existantes de l’Inventaire !
Pour s’inscrire, c’est ici
Le magnifique, le marginal, le patrimonial : hommage à Jean-Paul Belmondo
20 septembre 2021
Une réplique d’Audiard lancée accoudé à un comptoir aux côtés de Jean Gabin. Une mort filmée par Godard sur les pavés de la rue Campagne-Première. Une course effrénée et 36 cascades dans les chantiers de Brasilia devant la caméra de De Broca.
Des histoires partagées avec Moreau, Deneuve, Seberg, Karina ou encore Cardinale…
La carrière de Jean-Paul Belmondo ressemble à une histoire du cinéma français de ces 60 dernières années. Suite au décès de l’acteur le 6 septembre dernier, son nom a donc souvent été associé dans les media au patrimoine. Patrimoine cinématographique, patrimoine culturel. Bebel fait partie du patrimoine des français, et les arguments sont nombreux : sa fidélité à de grands réalisateurs comme Godard, Melville, Verneuil ou de Broca… ; l’étendue de ses rôles alternant nouvelle vague, comédies, films noirs et de nombreux chefs-d’œuvre à la clé ; la gouaille et la nonchalance de ses personnages ; la longévité de sa carrière. Le Magnifique, Le Marginal, Le Professionnel, L’Incorrigible. À ces adjectifs pourrait donc être ajouté : Le Patrimonial.
Le patrimoine de Belmondo, c’est également des dizaines de musiques de films qui ont contribué à façonner son image à l’écran. On pense évidemment au thème « Chi mai » de Morricone pour Le Professionnel. Mais il y a aussi les compositions de Michel Magne pour Un singe en hiver, entre ambiance western et mélodies traditionnelles chinoises, la partition baroque et épique de Georges Delerue pour Cartouche, la batucada qui ouvre les aventures de L’homme de Rio, les notes sifflées par Alessandro Alessandroni sur le thème sombre et percussif de Morricone pour Peur sur la ville, les accents rock progressif de Michel Colombier pour L’Alpagueur rappelant les collaborations entre Dario Argento et Goblin… Ferdinand Griffon et Louis Mahé, les héros de Pierrot le fou et de La sirène du Mississippi, doivent beaucoup à la musique et aux arrangements d’Antoine Duhamel qui dessine les personnages de Godard et Truffaut à coups de cordes sombres ou mélancoliques.
La Médiathèque Musicale de Paris s’est donc plongée dans ses collections pour vous proposer un portrait de Belmondo en musique. Les vinyles exposés sont issus du fonds Philippe Peroy, collectionneur passionné de musiques de films. Ce fonds comprend 6 000 microsillons, dont 1 000 disques 45 tours de bandes originales de films français et européens des années 1950 et 1960. Ce support, particulièrement en vogue à l’époque pour diffuser les musiques de films, est une vraie rareté qui nous permet aujourd’hui de rendre un hommage musical à Belmondo : magnifique, marginal et patrimonial, à la MMP.
Les 45 tours exposés datent en grande majorité des années 60. Le format court, idéal pour diffuser à grande échelle les chansons et thèmes principaux des films, a progressivement été délaissé dans les années 70 au profit du format long qui permet d’exploiter l’intégralité des bandes originales et prolonger ainsi l’expérience du spectateur.
Côté visuel, les 45 tours des années 60 sont majoritairement illustrés par des photographies tirées des films mettant en avant le héros ou le couple, dans une mise en page alliant le cliché noir et blanc à des formes géométriques et des aplats de couleurs très pop.
Le recours aux affiches des films, outils promotionnels officiels, ne se généralise qu’à partir des années 70. Elles reprennent les codes du film de genre : l’esthétique James Bond (Les Tribulations d’un Chinois en Chine), la noirceur du polar (Le corps de mon ennemi), le héros en pleine action (La Scoumoune). Pour Weekend à Zuydcoote, l’affichiste René Ferracci, un des plus prolifiques créateurs d’affiche pour le cinéma français dans les années 50 et 60, s’inspire d’une photo tirée d’un film précédent de l’acteur, Les Distractions. On reconnait la pause, la coiffure, le manteau, l’angle de prise de vue. Seul l’ajout d’un décor évoque le contexte du film de guerre.
Dès le milieu des années 70, on célèbre la marque BELMONDO. Un cahier des charges guide la conception des films mais aussi celle de l’affiche, reproduite sur la bande originale. Sous son nom écrit en lettres capitales en haut de l’affiche, Belmondo apparaît systématiquement dessiné, arborant la panoplie du héros viril (cuir, jeans, flingue et sourire narquois). Le professionnel, L’as des as, Le marginal, Les morfalous… Le titre devient secondaire. Cette stratégie marketing qui accompagnera nombre de ses succès commerciaux finira même par lasser l’acteur. Avec Le solitaire, exit le dessin : une photo de son visage en plan rapproché couvre la quasi-totalité de son nom. La marque s’efface derrière Belmondo l’acteur.
Voir aussi : Une sélection de CD sur le portail des bibliothèques des bibliothèques de prêt.
* Retrouvez les 45 et 33 tours présentés ici, exposés à la Médiathèque Musicale de Paris.
Raoul Pugno, de la Commune de Paris à Proust
20 juillet 2021
A l’occasion des anniversaires de la Commune et de la naissance de Marcel Proust, retour sur la vie d’un musicien très important du début du siècle, mais un peu oublié aujourd’hui : Raoul Pugno.
A découvrir : l'exposition "Marcel Proust, un roman parisien" au Musée Carnavalet du 16 décembre 2021 au 10 avril 2022
A lire également : Proust et la musique : la sonate de Vinteuil
Les anniversaires se succèdent et ne se ressemblent pas. Ainsi, il y a 150 ans, le 10 juillet 1871, naissait Marcel Proust, à peine plus d’un mois après la Semaine Sanglante qui venait mettre fin à la Commune de Paris. Simple hasard du calendrier, tant rien ne semble lier le portraitiste du faubourg Saint-Germain à l’une des dernières grandes insurrections de l'histoire.
Il est pourtant des passeurs discrets, presque invisibles, qui par leurs vies, jettent des ponts entre des mondes qui semblent irréductibles.
Raoul Pugno est de ceux-là. Né le 23 juin 1852, dans un milieu modeste mais mélomane, il obtiendra au Conservatoire de Paris plusieurs premier prix de piano, d’harmonie, d’orgue… avant de jouer un rôle important dans la Commune de Paris. Ostracisé vingt ans, il reviendra en tant que concertiste de renommée internationale et, possiblement, comme personnage de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust.
La Commune de Paris
Raoul Pugno est donc fraîchement diplômé du Conservatoire et âgé d’à peine 18 ans au déclenchement de la Commune de Paris. Beaucoup des plus grands musiciens de l’époque 一 D’indy, Lalo, Saint-Saëns 一 prendront leur distance ou s’opposeront farouchement à la Commune. La musique n’est pas pour autant totalement absente de l’expérience de la Commune. Cette dernière se dote progressivement de commissions et, assez tardivement, le 9 mai 1871, est publié au Journal officiel le décret proclamant la création d’une « commission musicale » composée de sept membres et instituée « pour veiller aux intérêts de l’art musical et des artistes ». Raoul Pugno en fait partie. Il sera même, dans les jours qui suivent, nommé directeur de l’Opéra (ou, selon les sources, il contribua à organiser le concert prévu le 22 mai).
Plusieurs versions, plus ou moins rocambolesques, circulent sur la façon dont il aurait été recruté. Toutes suggérant, a posteriori, une forme de contrainte. En réalité, il semblerait que Pugno était un révolutionnaire convaincu et que, par ailleurs, « la possibilité de faire jouer sa musique à l’opéra était tout simplement trop belle ». Car en effet, la musique sous la Commune devait culminer dans un concert à l’opéra le 22 mai 1871, après les quatre organisés aux Tuileries début mai. Ce soir-là, Pugno devait diriger des compositions de Beethoven, de Gossec, mais aussi deux de ses propres compositions : Hymne aux Immortels (1871, sur un texte de Victor Hugo) et Alliance des peuples (1871). Mais le 21 mai, les troupes versaillaises entrent dans Paris, et la représentation n’aura jamais lieu.
C’est le début d’une longue période de purgatoire pour Pugno. Il est d’abord emprisonné pendant quelques jours, puis mis à l’écart pour cause de passé communard. L’Opéra et l’Opéra-Comique lui sont inaccessibles. Durant cette période de « petits emplois », à l’église de Saint-Eugène, au théâtre Ventadour, il sera surtout connu comme organiste.
Pugno et Ysaÿe, spécialistes ès sonates
Cet exil artistique prendra fin subitement le 23 décembre 1891. C’est la veille de Noël et Pugno a déjà une quarantaine d’année. Ce soir-là, il remplace le pianiste Louis Diémer, malade, dans le Concerto en la mineur de Grieg, avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. C’est un immense succès. Dès lors, tout change. Il devient non seulement le chouchou du public parisien, et « à partir de 1894 et pendant vingt ans, [...] voyage à travers le monde en messager et en ambassadeur de l’art français ».
Parallèlement, il débute à partir de 1896 une association avec le violoniste belge Eugène Ysaÿe. Le duo qu’ils formeront jusqu’à la mort du pianiste en 1914 sera le plus apprécié de l’avant-guerre. Le style de Pugno - personnage joyeux à la grosse barbe et aux doubles foyers, grand gastronome - consonnera remarquablement avec celui d’Ysaÿe. La popularité du duo se joue peut-être aussi ici au vu des nombreuses anecdotes croquignolesques autour de la bonhomie et des festins qui circulent au sujet des deux compères.
Mais, pour en revenir à la musique, ce sont surtout leurs programmes qui les distinguent. En effet, ils tombent rapidement d’accord sur un projet de séries de sonates pour violon et piano. Un programme constitué uniquement de sonates est très rare à l’époque et le duo devient la référence en matière d’interprétations de sonates, mélangeant de « succès » et œuvres nouvelles, dérangeantes. Comme l’écrit Michel Stockhem, « Ysaÿe et Pugno ont été les premiers à présenter régulièrement la sonate en tant que forme musicale accomplie ». Les sonates de Fauré, de Saint-Saëns et surtout celle de Franck sont au programme.
La sonate de Vinteuil dans la Recherche du Temps Perdu de Proust
La forme de la sonate, associée aux noms de Franck, de Saint-Saëns, résonnent fortement aux oreilles des lecteurs de Proust. On le sait, dans La Recherche du temps perdu, la sonate de Vinteuil (une œuvre et un compositeur imaginaires) joue un rôle très important. Sa petite phrase est d’abord “l'air national de l’amour” de Swann et d’Odette. Ce goût pour la sonate sera transmis par Swann au narrateur, Marcel, qui sera pour lui, non plus le symbole d’un amour, mais le guide vers la création artistique
La critique proustienne s’est depuis longtemps interrogée sur les modèles possibles de la sonate de Vinteuil. Proust lui-même a donné quelques indications dans une lettre célèbre à Jacques Lecretelle, lettre qui semble plutôt brouiller les pistes :
« dans la faible mesure où la réalité m’a servi, mesure très faible à vrai dire, la “petite phrase” de cette sonate, et je ne l’ai jamais dit à personne, est [...] dans la soirée de Saint-Euverte la phrase charmante mais enfin médiocre d’une sonate pour piano et violon de Saint-Saëns, musicien que j'e n'aime pas [...]. Dans la même soirée, un peu plus tard, je ne serais pas surpris qu’en partant de la petite phrase, j’eusse pensé à l’Enchantement du Vendredi Saint. Dans cette même soirée encore, quand le piano et le violon gémissent comme deux oiseaux qui se répondent, j’ai pensé à la sonate de Franck [...] les trémolos qui couvrent la petite phrase chez les Verdurin m’ont été suggérés par le prélude Lohengrin. Mais elle-même, à ce moment-là par une chose de Schubert. Elle est, dans la même soirée, un ravissant morceau de Fauré ». Lettre de Marcel Proust à Jacques Lacretelle in Hommage à Marcel Proust, Paris, 1927, p. 190.
Ce débat sur les sources est assez bien résumé par Pierre Brunel qui retient surtout : la première des deux sonates de Gabriel Fauré (en la majeur, op. 13, 1876), la première des deux sonates de Saint-Saëns (en ré mineur op. 75, 1885) et surtout, « hypothèse musicalement la plus satisfaisante » selon lui, la sonate de Franck (en la majeur, 1886).
Proust, auditeur de Pugno ?
Autre fait remarquable de la carrière de Raoul Pugno, il fut le premier grand concertiste de renommée internationale, à enregistrer sur disque au printemps 1903. Dans les notes de pochette du disque Opal qui regroupe tous ses enregistrements, le musicologiste Jerrold Northrop Moore évoque le duo formé avec Ysaÿe et précise :
« ils étaient d’inégalables interprètes de la sonate de Franck (une interprétation entendue et célébrée par Proust) ».
Aurions-nous alors, par l’intermédiaire du disque, l’occasion d’entendre le jeu, suffisamment éloquent, de celui qui donna à Proust « l’idée que la révélation au Narrateur de l’absolu artistique se ferait par le truchement d’une œuvre musicale » ? Ce n'est pas rien.
Proust a-t-il réellement entendu Pugno ? Le pianiste Edouard Risler est souvent considéré comme le modèle du “jeune pianiste” de la Recherche et Proust ne mentionne à aucun moment Pugno dans sa correspondance. Pour autant, ils évoluent dans les mêmes sphères.
On sait par exemple, que Reynaldo Hahn, avec qui Proust allait souvent au concert ou dans les salons, a vu le duo. En effet, Hahn relate un concert des deux musiciens dans ses Notes, il est d’ailleurs déçu : « Concert d'Isaye [sic] et Pugno. Déception quant à Ysaÿe que j'ai trouvé très ordinaire ». De la même façon, Proust fréquente deux importants salons musicaux, qui occuperont une place centrale dans l’univers de la recherche. D’abord celui de Marguerite de Saint-Marceaux, boulevard Malesherbes, qui inspira possiblement le salon Verdurin. On ne sait si Pugno fut reçu dans son salon, mais Marguerite de Saint-Marceaux, qui croise souvent Marcel dans le monde, entend à de nombreuses reprises Pugno, seul ou avec Ysaÿe : chez le peintre Raffaelli, à Pleyel, chez Ernest Chausson, chez la princesse de Polignac… On sait que Proust se rend régulièrement chez cette dernière (il écrira un article dans le Figaro sur son salon). Impossible de ne pas mentionner le salon de la comtesse Greffulhe, qui servit de modèle pour le personnage de la duchesse de Guermantes. Pugno y joue par exemple avec Ysaÿe en 1903.
On pourrait ainsi multiplier les exemples. Proust a eu de multiples occasions d’entendre Pugno 一 notamment avec Ysaÿe dans la sonate de Franck 一, et il est presque étonnant de n’en trouver traces. C’est pourtant ce que semble confirmer Myriam Chimènes dans un article récent qui 一 s’appuyant sur les journaux, correspondances, programmes de concerts 一, recense toutes les œuvres et tous les interprètes dont on a la preuve que Proust les a entendus. Nulle trace de Pugno.
Alors, Proust a-t-il entendu le pianiste ? Possible, probable même. Mais nous n’en savons rien. Il est toutefois permis de rêver et de rajouter, aux mille vies de Raoul Pugno, cette dernière, en partie fictionnelle. C’est d’ailleurs ce que fait Jérôme Bastianelli dans son roman La Vraie vie de Vinteuil qui fait de Pugno et Ysaÿe les grands défenseurs de deux sonates : celle bien réelle de Franck et celle, imaginaire,… de Vinteuil.
Ludovic Bichler
Discographie
Raoul Pugno, His complete published piano solos, 1988, OPAL CD 9836.
Bibliographie
Jérôme Bastianelli, La Vraie vie de Vinteuil, Grasset, 2019.
Philippe Blay et Hervé Lacombe, « À l’ombre de Massenet, Proust et Loti : le manuscrit autographe de L’Île du rêve de Reynaldo Hahn », Revue de musicologie, vol. 79, n° 1, 1993.
Pierre Brunel, Les arpèges composés, Klincksieck, 1997.
Myriam Chimènes, Mécènes et musiciens. Du salon au concert à Paris sous la IIIème République, Fayard, 2004.
Myriam Chimènes, « Proust auditeur de musique dans les salons parisiens », in Cécile Leblanc, Françoise Leriche, Nathalie Mauriac Dyer (dir.), Musiques de Proust, Hermann, 2020, p. 25-50.
Joël-Marie Fauquet (dir.), Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Fayard, 2003.
Delphine Mordey, « Moments musicaux. High culture in the Paris Commune », Cambridge Opera Journal, Vol. 22, N° 1.
Jean-Jacques Nattiez, Proust musicien, Christian Bourgois, 1999.
Marguerite de Saint-Marceaux, Journal 1894-1927, Fayard, 2007.
Fiorella Sassanelli, « Un pianiste français face au public américain : les trois tournées de Raoul Pugno (1897-1906) », Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, Vol 16, N° 1–2, 2015.
Michel Stockhem, « Le duo Eugène Ysaÿe – Raoul Pugno », Bulletin de la Société liégeoise de Musicologie, n° 62, juillet 1988.
Nicole Wild, « L’opéra sous la commune », in Damien Colas, F. Gétreau, M. Haine, Musique, esthétique et société au XIXème siècle, Mardaga, 2007.
A lire également : Proust et la musique, la sonate de Vinteuil
Les trésors de Radio France
30 juin 2016
En juin, la Médiathèque musicale de Paris a participé à la vente aux enchères des fonds de Radio France et a acquis à cette occasion plus de 200 vinyles rarissimes. A découvrir en musique.
Le 19 juin 2016, 8 000 disques vinyles issus de la collection de la discothèque de Radio France étaient mis aux enchères à une foule de passionnés. la Médiathèque musicale de Paris n'a bien évidemment pas raté l'occasion d'enrichir son fonds, en faisant l'acquisition d'environ 200 références rarissimes.
Du rock progressif, des musiques traditionnelles du mythique label Folkways, du krautrock, de la musique cubaine... Toutes ces merveilles sont à découvrir sur le mini-site ouvert par la Médiathèque, et qui permet de découvrir toutes les pochettes et d'écouter des mixes de ces références, que vous n'entendrez certainement nulle part ailleurs !
Mix exclusifs à écouter
Pour vous faire découvrir en avant-première quelques titres de cette collection, découvrez quatre mixes aux ambiances très différentes !
Mix #1 : Krautrock & Folk-rock progressif
Mix #2 : Latin & Afro-Cubain
Mix #3 : "Post-punk & Indus"
Mix #4 : Cosmic synths & proto-electro
Damien Poncet
Voyage dans l'univers de Moondog
26 mai 2016
Alors que l'on fête les 100 ans de sa naissance, le cas Moondog reste un mystère. Pour s'y retrouver dans l'univers étonnant de cette figure de la musique contemporaine, la médiathèque musicale de Paris vous propose quelques pistes appréhender l'univers de Moondog, figure mythique de la musique contemporaine.
Artiste de rue à New-York, aveugle depuis l’enfance suite à un accident avec de la dynamite, Louis Hardin prit rapidement le nom de Moondog. Musicien atypique, il s’habillait en viking, vendait ses partitions dans la rue et jouait sur des percussions qu’il fabriquait lui-même. En puisant dans les classiques du Moyen Age, chez Bach, les Indiens d'Amérique ou encore dans le jazz, il a édifié une œuvre à part, singulière, qui lui confère une place toute particulière dans le monde des musiques « contemporaines ».
A l'occasion du centenaire de sa naissance, le médiathèque musicale de Paris a organisé une conférence animée par Amaury Cornut, auteur de l'unique livre en français sur Moondog, le jeudi 26 mai dernier.
En complément de cette conférence, découvrez ci-dessous une playlist qui vous invite à découvrir l'univers musical de Moondog, ainsi qu'une sélection de documents à emprunter si vous souhaitez en savoir plus.
Damien Poncet
Nous et les autres : des musiques pour se découvrir
26 mars 2017
A l'occasion de l'exposition "Nous et les autres" au Musée de l'Homme, la Médiathèque musicale de Paris vous propose un parcours sonore et interactif autour des questions des préjugés et du racisme.
Vous avez certainement croisé ces dernières semaines les affiches pour "NOUS ET LES AUTRES, des préjugés au racisme", l’exposition qui a lieu au Musée de l’homme jusqu’en janvier 2018.
Vous êtes même peut-être allé visiter ce parcours passionnant, qui décrypte, salle après salle, les mécanismes insidieux qui conduisent petit à petit au racisme quotidien, au racisme d’état.
La Médiathèque musicale de Paris vous propose un parcours sonore qu’elle a élaborée en partenariat avec le Musée de l’Homme en découvrant 15 histoires, 15 trajectoires musicales en écho aux thèmes abordés tout au long de l'exposition.
De Nina Simone à Miriam Makeba, en passant par Gaël Faye ou Alan Lomax, laissez-vous conter quelques histoires particulières qui racontent toutes quelque chose de la grande marche du monde.
Damien Poncet
Exposition Al Musiqa à la Philharmonie de Paris : des Mix pour accompagner la visite de l'expo
6 avril 2018
La Médiathèque musicale de Paris vous propose de découvrir en écoute 4 mix pour accompagner la visite de l'exposition Al Musiqa, qui se déroule jusqu'au 19 août à la Philharmonie de Paris.
Al Musiqa – Voix et musiques du monde arabe est la première exposition d’envergure en France sur les musiques du monde arabe. L’exposition a été conçue comme un grand voyage musical pour tous les publics, depuis l’Arabie heureuse de la Reine de Saba jusqu’à l’Andalousie de Zyriab, de la période préislamique à nos jours.
Pour les besoins de l’exposition, la Médiathèque musicale de Paris a confectionné une dizaine de petits mix musicaux, repartis sur 4 cartes interactives que l’on retrouve le long du parcours de l’exposition.
Nous vous invitons ici à prendre le temps de l’écoute sur les 4 grands domaines abordés dans ces mix, réalisés à partir des archives sonore de la Médiathèque musicale de Paris.
Musiques de la Péninsule arabique
Damien Poncet