La Musicale octobre 2025 : Pompe et circonstance

Edito
Patience, persévérance, force morale : La Musicale explore ce mois-ci un concept qui réunit un compositeur d'origine roumaine, des rythmes latino-américains éternellement chaloupés, un festival transalpin, et... Madame Mozart. Car c'est bien de Constance qu'il s'agit. Nous ferons une escale sur les rives du lac du même nom, et nous pencherons sur le bolero de Cuba au Mexique. Et pour commencer, nous rendrons hommage à ce compositeur engagé et précurseur qui porte si bien son nom : Marius Constant. Une exposition est organisée grâce au fonds d'archives légué par son fils Alain à la MMP, avant une table ronde qui prolongera ce précieux héritage le 13 novembre.
Pompe et circonstance
Vous avez dit Constant ?
Savez-vous que la Médiathèque musicale de Paris – Christiane Eda-Pierre conserve les archives de Marius Constant (1925-2004) ? Ce fonds provient d'un don fait en 2009 par Alain Constant, le fils de ce compositeur majeur de la deuxième moitié du 20e siècle. Il s'agit d'un ensemble exceptionnel de plus de 4000 documents : partitions, livres, enregistrements, correspondance, programmes de concerts...
Cet automne, à l'occasion du centenaire de sa naissance, la médiathèque rend hommage à Marius Constant et présente certains de ces précieux documents pour la première fois, à travers une exposition : "Marius Constant, au-delà de la Quatrième dimension", visible à la MMP jusqu'au 13 novembre.
Toute sa vie, cet homme infatigable s'est mis au service de la création musicale, avec une curiosité et un enthousiasme... constants. Son activité principale, la composition, le montre bien : il a écrit des concertos, des ballets, des opéras, de la musique de film..., mais également nombre d'œuvres aux formes nouvelles, difficiles à catégoriser, comme par exemple des improvisations collectives à partir de dessins (une forme de musique aléatoire, courant alors en plein développement). Avide de sonorités nouvelles et étonnantes, il a fait partie de la génération qui a découvert les possibilités offertes par l'électronique. Il a eu aussi à cœur de composer en donnant une place importante à des instruments rares, anciens ou populaires (orgue de barbarie, gong ou encore clavecin). Il n'a jamais hésité à mêler les procédés de composition, les instruments et les styles, par exemple lors de sa collaboration avec Martial Solal, pianiste et compositeur de jazz virtuose.

Marius Constant (à g.) et Olivier Messiaen. Partition de Stress. Marius Constant avec son épouse Sonia.
S'il est allé partout dans le monde pour donner des concerts, il a eu également une grande constance dans sa fidélité à Paris et à la France. Né en Roumanie et bercé de culture française, il est en effet arrivé à 21 ans dans notre ville, en 1946, grâce à une bourse lui permettant d'étudier au Conservatoire où il a suivi les enseignements des plus grands : Olivier Messiaen, Nadia Boulanger ou encore Arthur Honegger. Plus tard dans sa vie, il est resté attaché à la ville choisie dans sa jeunesse. C'est là qu'il a exercé plusieurs carrières professionnelles parallèles : chef d'orchestre, directeur musical de la radio de l'ORTF consacrée à la musique (ancêtre de la chaîne France Musique), professeur d'orchestration au Conservatoire, directeur de l'ensemble Ars Nova... Et même membre de l'Académie des Beaux-Arts depuis 1993, élu au fauteuil de son maître et ami Olivier Messiaen.
Comme l'écrit Alain Constant dans l'introduction de l'exposition présentée à la MMP : "Voilà donc ses archives mises en valeur au cœur même de sa ville choisie. Pour que son œuvre reste bien vivante". La Médiathèque musicale de Paris est fière de participer à ce projet.
Bolero : Hasta siempre
On fête cette année les 150 ans du Boléro de Ravel. Mais c'est d'un autre bolero qu'il sera question ici : celui des guitares, des voix entremêlées et des amours éternelles. Il y a dans le bolero [1] quelque chose qui résiste au temps : un tempo lent, une carrure régulière, une guitare qui berce et une voix qui chante l'amour avec intensité. Le bolero semble appartenir à un autre monde — ou plutôt à celui des sentiments qui ne se démodent pas. Depuis plus d'un siècle, il répète inlassablement les mêmes élans, et sa constance est frappante, voire paradoxale : certes fidèle au thème de l'amour, mais souvent à travers ses visages les plus douloureux, blessures, ruptures, jalousies, trahisons, vengeances.
Si le bolero peut paraître immobile, il n'en est pas moins une musique voyageuse. Né à la fin du 19e siècle à Cuba, dans la bouche des premiers troubadours comme Pepe Sánchez, il se diffuse d'abord dans les Caraïbes, puis dans toute l'Amérique latine. Le Mexique en deviendra la grande scène, grâce au cinéma, à la radio et à une génération d'interprètes qui en feront un art à part entière. Il y a Lucho Gatica, Daniel Santos ou encore Julio Jaramillo. Mais les femmes aussi s'emparent largement du genre et parmi elles, des chanteuses au caractère bien trempé : Olga Guillot, aux soixante-dix ans de carrière, Omara Portuondo, qui vient de mettre fin à la sienne à l'âge de 94 ans, mais aussi María Luisa Landín, Eva Garza, Carmen Delia Dipiní ou Toña la Negra incarneront ce romantisme à vif.
Le bolero, même s'il est devenu plus lyrique et orchestré au fil du temps, a une signature musicale bien reconnaissable : des guitares acoustiques, parfois soutenues de légères percussions — bongos, maracas — et le fameux requinto, plus éclatant, qui ouvre la chanson, dialogue avec la voix et en souligne la mélancolie. À cette ossature instrumentale s'ajoute une architecture vocale très reconnaissable, souvent en duo ou en trio. C'est aussi un tempo modéré, une mesure binaire et syncopée, des harmonies simples, souvent en tonalités mineures. Enfin, c'est une structure presque immuable qui tire sa force de la répétition : on n'attend pas du bolero qu'il surprenne, mais qu'il touche, qu'il serre un peu le cœur.

Vinyles à écouter sur place, à retrouver dans les collections patrimoniales de la MMP.
Cette quête de justesse trouve son apogée dans les trios vocaux qui, dès les années 1940, portent le genre à son sommet. Los Panchos, formés à Mexico, restent les plus emblématiques : trois voix harmonisées, des guitares en dialogue, une fidélité absolue au style. D'autres suivront, Los Tres Ases, Los Tres Reyes, Los Tres Diamantes ou Los Tres Caballeros — jusque dans leur nom, ils semblent se répondre. Tous consacrent leur carrière entière au bolero, défendant une musique qui ne cherche pas à innover, mais à durer.
Début octobre, La Havane accueille le 37e Festival international de Boleros de Oro, une célébration d'autant plus symbolique que le bolero, depuis deux ans, figure au patrimoine culturel immatériel de l'humanité établi par l'UNESCO : c'est la reconnaissance mondiale d'une chant qui continue de donner voix à l'intemporalité de l'amour.
[1] En espagnol, sans accent.
Festival avec vue
Au carrefour entre l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche, alimenté principalement par le Rhin, bénéficiant d'une eau à 20°C en moyenne au mois de juillet, le lac de Constance est un haut lieu touristique entre découverte de villes pittoresques et activités sportives en pleine nature. Chaque été depuis 1946, le lac devient également le décor sublime et changeant de l'opéra choisi pour être représenté durant deux années sur la grande scène extérieure du Festival de Bregenz.
Le Festival de Bregenz (Bregenzer Festspiele), connu pour ses mises en scène d'opéra populaires et spectaculaires, se déroule de mi-juillet à mi-août sur la rive orientale du lac de Constance, côté Autrichien. La Seebühne, scène flottante la plus vaste au monde, peut accueillir près de 7000 spectateurs et crée un amphithéâtre naturel face au lac. Cette structure, composée de 158 pilotis en bois ou en acier de 6 mètres de profondeur, supporte les décors majestueux qui font toute la réputation de cet événement. Les archives en ligne du festival permettent de les admirer d'un seul coup d'œil. Pour Turandot de Puccini, un mur de couleur rouille inspiré de la grande muraille de Chine ondoie sur 72 mètres de long. Les interprètes d'Andrea Chénier d'Umberto Giordano évoluent sur une tête d'homme géante qui se transforme au fil de l'intrigue. La gigantesque feuille de papier japonais négligemment jetée pour Madame Butterfly est presque sobre en comparaison, mais ce décor en pente raide n'en reste pas moins un défi d'équilibre pour les chanteurs et chanteuses.

Mais quel que soit le décor choisi, il n'éclipse jamais totalement le lac de Constance. En 1971, Jacques Lonchampt décrivait l'harmonie entre le décor naturel et la mise en scène dans sa critique du Monde de Porgy and Bess de George Gershwin :
Le lac lui-même est un personnage : Clara arrive en barque en chantant le fameux Summertime pour endormir son enfant, des enfants plongent et se poursuivent, un pittoresque bateau à roue du Mississippi emmène la joyeuse troupe qui danse et chante avec frénésie, et un feu d'artifice tiré derrière Catfish Row met le comble à cette superproduction de Marcel Prawy [...].
Bien que les décors soient conçus pour être résistants aux vents et aux intempéries, jouer sur le lac de Constance, c'est aussi devoir s'adapter aux caprices des cieux. Un spectateur se souvient d'une représentation du Freischütz de Carl Maria Von Weber dans une mise en scène de Philipp Stölzl à l'été 2024 :
Je suis arrivé au matin et il faisait encore beau. La journée, les décors sont en accès libre et les vacanciers, même non mélomanes, viennent les admirer. De la pluie était annoncée pour le soir et l'ambiance a commencé à changer. On se demandait si la représentation allait avoir lieu, si les interprètes pourraient monter sur scène sans danger. La pluie s'est mise à tomber mais ce temps s'accordait à la mise en scène (un village dans les marécages, personnages sortant de l'eau) et a aussi créé une empathie avec les chanteurs et chanteuses qui se battaient sur scène pour ne pas glisser.

Le festival de Bregenz vous donne rendez-vous le mercredi 22 juillet 2026 à 21h15 pour la première de La Traviata de Verdi mis en scène par Damiano Michieletto. Si la météo annonce de la pluie, pensez à prendre votre imperméable car les parapluies sont interdits dans les gradins face au lac de Constance.
Le rabicoin
Dans Mozart : Correspondance complète se dévoile un Mozart intime, passionné et tourmenté. On découvre combien Constanze, sa femme, fut bien plus qu'une compagne : soutien indéfectible, muse inspirante et ancrage dans les tempêtes de la création. Esprit vif et indépendant, elle accompagna Mozart tout en affrontant les dettes, les absences et la maladie. À la fois aimante et pragmatique, malgré la légèreté qu'on lui prête, Stanzi Marini, comme il aimait l'appeler, fut essentielle à la postérité du compositeur.
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