La Musicale septembre 2025 : Cricri d'amour

Opéra International, mai 1978. Portrait : Christiane Eda-Pierre : La joie de chanter.
La MMP devient la Médiathèque musicale de
Paris - Christiane Eda-Pierre !
Soprano d'exception, acclamée dans les plus grands opéras du monde, Christiane Eda-Pierre (1932-2020) a marqué son époque de sa voix lumineuse, ses choix de répertoire et sa personnalité à la fois pudique et rayonnante. C'est l'occasion de (re)découvrir une artiste admirée des amateurs de chant lyrique, mais encore méconnue du grand public.
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Cricri d'amour
Une carrière exceptionnelle
Née en 1932 à Fort-de-France dans une famille d'intellectuels et d'artistes, Christiane Eda-Pierre fait partie de ces cantatrices dont la technique et la sensibilité forment une alliance parfaite. Son timbre, chaud et souple, a l'agilité d'un colorature et sert aussi bien le répertoire classique - c'est une grande mozartienne - que les oeuvres baroques ou contemporaines.
Après un parcours exemplaire au Conservatoire de Paris, elle passe douze ans dans la troupe de l'Opéra-Comique. Cette expérience fait d'elle une musicienne avant d'être une vedette. "Cela a été quelque chose de merveilleux, pour l'ambiance et pour les contacts humains : une impression de famille. Et puis j'ai vraiment appris mon métier là." [1] Nommé à la tête de l'Opéra en 1973, Rolf Liebermann remplace la troupe par des artistes engagés à la représentation. Pour autant, il ouvre de nouvelles perspectives à Christiane Eda-Pierre, qui dira plus tard qu'elle lui doit beaucoup. S'enchaînent alors les premiers rôles : la Comtesse, Gilda, Constance, Violetta, Donna Anna... Christiane Eda-Pierre participe à toutes les saisons de l'Opéra Garnier entre 1972 et 1983.
Sous la baguette de Boulez, Marriner, Solti, Barenboim, Davis ou Ozawa, elle s'impose comme la première grande voix française d'origine antillaise à conquérir la scène lyrique internationale, même si sa personnalité reste toujours d'une discrétion raffinée. "C'est la Martinique qui fait que je chante comme je chante [...] Cette personnalité, c'est le soleil. Il y a chez nous, Antillais, une sorte de grande sensibilité, de pudeur ; nous sommes plutôt réservés." [1]
Hormis le rôle de Constance, qui lui vaut une reconnaissance mondiale, on peut retenir trois grands moments d'opéra. En mars 1974, elle participe à une production marseillaise des Puritains de Bellini qui sera longtemps considérée comme une référence. En février 1976 à l'Opéra de Paris, elle partage avec Margaret Price le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro. En 1980, elle incarne Gilda dans un Rigoletto mémorable, donné avec Pavarotti à Central Park devant 300.000 spectateurs.
Son parcours, c'est aussi des choix audacieux. "Je suis passionnée de musique baroque" [1], dit-elle. Dans le sillage de Jean-François Paillard, elle interpète Lully, Rameau, Campra, bien avant le regain d'intérêt général pour ce répertoire. Plus tard, elle s'engage dans la création contemporaine : elle est l'Ange de Saint François d'Assise de Messiaen, et endosse le rôle-titre du monodrame de Charles Chaynes, Erzsebet. "Concernant le répertoire, comme pour toute ma carrière en général, je crois avoir fait ce que je voulais faire, non pas ce qu'on attendait de moi. Je suis un artisan du chant." [2]

Airs d'opéras comiques. Rameau, Dardanus. Lyrica, 15 mars 1976. Opéra International, mai 1978.
Enfin, il y a sa carrière d'enseignante. Nommée au Conservatoire en 1977 — la même année que Marius Constant —, elle y enseigne pendant vingt ans. "J'essaye de maintenir cette joie de chanter dont parlait Charles Panzéra, parce que je crois que, sans joie, on ne peut pas être détendus et libres. Ce n'est pas un cours magistral, c'est un échange. Je reçois autant que je donne." [1]
Elle est Grand officier de l'Ordre National du Mérite, Officier de la Légion d'Honneur et Commandeur des Arts et Lettres. Alors pourquoi est-elle encore si méconnue du grand public ? Parce que l'art lyrique à son époque était peu accessible ? Parce qu'elle n'a jamais cherché la médiatisation ? Ou parce que les récits nationaux négligent souvent les figures féminines, surtout venues d'outre-mer ?
Il est temps de faire entendre sa voix. "Christiane Eda-Pierre n'a pas seulement une voix privilégiée et une technique suprêmement intelligente, elle a aussi cette qualité précieuse entre toutes, la simplicité. [Elle est] l'une de ces artistes d'exception chez qui la musique est devenue le pur reflet d'une beauté intérieure." [3]
[1] Opéra International, mai 1978. Portrait : Christiane Eda-Pierre : La joie de chanter. Propos recueillis par Jean Goury.
[2] L'art de Christiane Eda-Pierre : airs d'opéras comiques, Universal, 2013. Propos recueillis par Christophe Capacci.
[3] Lyrica, 15 mars 1976, Une nouvelle Constance : Christiane Eda-Pierre, entretien avec Edith Walter.
En scène : de Constance à l'Ange
En 1980, Christiane Eda-Pierre triomphe au Metropolitan Opera de New York dans le rôle de Constance, l'héroïne de L'Enlèvement au sérail, comme en témoigne la critique d'Opera News, magazine américain de référence sur l'opéra. "L'Enlèvement au Sérail nous a amené la soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre, qui faisait son début [aux États-Unis] dans le rôle de Constance le 3 avril ; et sa venue fut un triomphe. Son démarrage a été fébrile - elle a eu tendance à chanter juste en-dessous du ton ; mais ensuite, elle a illuminé cette musique aux difficultés perfides avec sa voix charmante, aux couleurs sombres, qui n'avait aucun mal à couvrir toute la tessiture. Christiane Eda-Pierre a une voix large, raffinée, assurée, et elle s'empare de Mozart avec élégance et éclat. D'aucuns pourraient pinailler sur des détails, ou dire que sa voix manque parfois de légèreté dans les aigus, mais il est certain que Mlle Eda-Pierre est exceptionnelle." [1]
Quelques mois auparavant, dans le même magazine, Christiane Eda-Pierre avait dit quelques mots au public américain sur ce rôle qu'elle savait si bien incarner : "Constance est bien nommée. Quelle femme incroyablement forte et déterminée - et quelle sensibilité ! Elle est prisonnière d'un souverain tout-puissant, à des milliers de kilomètres de chez elle, séparée à jamais (selon toute apparence) de celui qu'elle aime. Pourtant, même face à la mort, Constance garde foi dans Belmonte et refuse de céder au pacha. Il me semble que beaucoup d'héroïnes de Mozart partagent cette force intérieure presque surhumaine." [2]
C'était déjà avec ce rôle-là qu'elle avait obtenu son premier prix de chant au Conservatoire de Paris, puis elle l'avait encore chanté sur d'innombrables scènes, et notamment trois fois à l'Opéra de Paris, en 1976, 1977 et 1978.

Opera News, avril 1980. Diapason, janvier 1984.
Elle a également chanté la première le rôle de l'Ange dans le Saint François d'Assise de Messiaen, un des opéras majeurs de la fin du 20e siècle, créé à l'Opéra Garnier en décembre 1983. Le numéro de Diapason de janvier 1984 donnait un compte-rendu de cet événement très attendu, qui avait rassemblé "la foule des grands jours". La journaliste Jacqueline Muller y mentionnait le moment frappant de "l'apparition de l'ange, cet ange musicien tout droit sorti d'un tableau de Fra Angelico, avec deux ailes aux couleurs agressives qu'affectionne Messiaen l'ornithologue" ; rôle que Christiane Eda-Pierre "[habitait] avec majesté" : "sa voix a de beaux accents et sa scène de l'ange musicien est sublime" [3]. L'image retenue pour illustrer ce spectacle, c'était d'ailleurs la sienne - vêtue de son costume drapé orné d'ailes rouges et jaunes, l'air grave et fier, d'une incomparable élégance. Celle qui allait bientôt faire ses adieux à la scène (en 1985, à Bruxelles, dans La clémence de Titus - encore Mozart) pouvait se targuer d'avoir, une fois de plus, relevé un défi d'une difficulté prodigieuse.
[1] Opera News, juin 1980 (vol.44, n° 22), p. 33.
[2] Opera News, avril 1980 (vol.44, n° 19), p. 21.
[3] Diapason, janvier 1984 (n° 290), p. 21.
La négritude en héritage
Christiane Eda-Pierre, c'est aussi un héritage : celui de la célèbre famille martiniquaise Nardal. La cantatrice est la fille d'Alice Nardal et la nièce de Paulette, Émilie, Jeanne (dite Jane), Cécile, Lucie et Andrée Nardal, sept femmes de lettres, musiciennes, intellectuelles, militantes "et peut-être celles sans qui le mouvement de la négritude n'aurait pas existé dans l'espace francophone" selon Alain Mabanckou dans la préface d'une biographie qui leur est consacrée.
Depuis une vingtaine d'années, le rôle pionnier de Paulette Nardal est de plus en plus reconnu. Première étudiante noire à La Sorbonne en 1920, elle tient dans les années suivantes, avec ses sœurs Jane et Andrée, un salon littéraire à Clamart dédié à la culture noire où se croisent des écrivains afro-américains, Aimé et Suzanne Césaire, Léopold Sédar Senghor, Félix Eboué... En 1931, Paulette Nardal fonde avec les écrivains Léo Sajous et René Maran La Revue du monde noir, une publication bilingue français-anglais qui pose les bases fondatrices du mouvement littéraire et politique de la négritude. De retour en Martinique, elle s'investit en faveur des droits des femmes martiniquaises avant de se consacrer à partir de 1954 - et c'est un aspect moins connu de sa vie encore aujourd'hui - à la promotion de la musique, à travers la création avec sa sœur Alice (la mère de Christiane) de la chorale Joie de Chanter et la rédaction de contributions sur l'histoire de la musique noire et martiniquaise. En 2018, Christiane Eda-Pierre revendique cette filiation dans la préface d'un livre d'entretiens de Paulette Nardal :
"La musique était son terrain constant et favori d'exalter la fierté noire, notamment avec ce groupe dont elle assurait le dynamisme, la Chorale Joie de Chanter. J'étais très motivée de porter l'excellence de l'art du chant dont elle m'avait communiquée, avec ma mère, la force de mon ascendance noire."

Au centre : Six des sept sœurs Nardal (Jeanne, Paulette, Cécile, Alice, Emilie et Lucy).
Photo Veille, [1970] (61 J Papiers Nardal). Archives territoriales de Martinique.
À droite : Alice Eda-Pierre avec sa fille Christiane. Photo Louis Thomas Achille - 1984
Première soprano noire française à la carrière internationale, Christiane Eda-Pierre est, elle aussi, une pionnière. Si elle raconte dans l'émission radiophonique Mémoire retrouvée n'avoir jamais subi de racisme dans le milieu de l'opéra, elle parle cependant de son arrivée difficile dans le Paris des années 1950 et de la nécessité de s'endurcir pour être respectée. Plus loin, elle évoque également la remarque du chef d'orchestre Georg Solti alors qu'elle répétait la montée dans la Neuvième symphonie de Beethoven : "Oh non non non Christiane, pas articulé, pas articulé. Chantez martiniquais". En se remémorant ce souvenir plusieurs années plus tard, elle part dans un grand éclat de rire et répond à la journaliste qui lui demande ce qu'est "chanter martiniquais" : "Je ne sais pas. Il pensait que c'était le roucoulement des oiseaux des îles mais en attendant, la Neuvième, si c'est comme ça on ne peut pas la chanter, car c'est tout sauf un roucoulement."
En revanche, l'identité noire de Christiane Eda-Pierre s'exprime dans l'œuvre que Charles Chaynes compose à son intention en 1978, Pour un monde noir, quatre poèmes pour soprano et orchestre sur le thème de la négritude. À partir de quatre poèmes (de Moustapha Wade, Antoine-Roger Bolamba, David Diop et Aimé Césaire) le compositeur s'imprègne de musiques pygmées, du Gabon, du Burundi et du Niger pour créer une œuvre contemporaine évocatrice qui remportera un grand succès dans le monde entier.
Le rabicoin
Le Grand passé musical - nom d'une collection éphémère de la Deutsche Grammophon abandonnée en 1965 - visait à mettre en valeur l'histoire musicale d'une ville ou d'une région française. Le recueil d'enregistrements dédiés à la capitale (pour la plupart inédits) comprend notamment l'organum à trois voix Virgo de Pérotin, l'un des remarquables compositeurs de l'École de Notre-Dame au 12e siècle. Le choix de cette pièce, sans doute initié par Christiane Eda-Pierre, reflète le profond attachement de celle-ci pour les musiques anciennes et la musique médiévale en particulier.
Le fil de la saison
(agenda culturel)

Enregistrement public de l'émission Métaclassique 13/09
Journées du Patrimoine : le fonds Marius Constant et les trésors de la MMP 20/09
Bruits de fond(s)
(nouveautés dans nos collections + monticule musique, forum des nouveautés livres et partitions)
Voisins et partenaires
La MMP pratique
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