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Edito

La musique adoucit sûrement les mœurs, mais son histoire est jalonnée de controverses retentissantes. À l'ombre des parasols comme à celle des scandales, La Musicale vous invite à plonger au cœur de ces remous. Nous évoquerons le tollé provoqué par Déserts de Varèse à sa création, puis les supercheries médiatiques du producteur Frank Farian. Enfin, dans ce menu estival, quelques brèves piquantes sur les dessous tapageurs de la scène musicale !

Barouf, charivari et autres cancans

Scandale en direct et en stéréo

Le 2 décembre 1954 a lieu la création de Déserts d'Edgar Varèse au Théâtre des Champs Élysées. Pour la première fois, instruments et électronique se mêlent dans une œuvre où le son (et non la note) est au cœur de la composition. L'événement est double puisqu'il s'agit aussi de la première émission diffusée en direct de la R.T.F. en stéréophonie, avec deux rampes de haut-parleurs de chaque côté de la salle pour profiter de la spatialisation du son.

Après l'Ouverture en si bémol de Mozart, Boulez présente l'œuvre de Varèse, une pièce faite d'"interpolations de sons organisés". Mais dès la première de ces séquences, la salle réagit violemment, comme frappée de plein fouet. Pierre Henry, chargé de la diffusion des bandes magnétiques, monte les potentiomètres à fond, submergeant le tumulte. Le public reprend rapidement le dessus. Scherchen et son orchestre n'ont d'autre choix que de feindre de jouer devant une salle hystérique. À 71 ans, Varèse est désavoué comme un jeune homme turbulent.

 

Xenakis raconte : "j'ai revu le lendemain Varèse et je lui ai fait passer la bande que j'avais enregistrée. Pour moi c'était fantastique parce qu'il y avait la musique de Varèse et la voix du public, qui hurlait, et c'était très apocalyptique".

Un critique du Monde écrit : "Le public a tenu généreusement sa partie : murmures d'abord, puis, crescendo, vagues de vociférations coupées de vagues d'applaudissements". C'est comme une partition improvisée par les spectateurs, mais le scandale n'est peut-être pas si spontané. Des témoins prétendent avoir vu des gens arriver au concert munis d'appeaux ou de sifflets... La presse parle de "cacophonie radiophonique", "tambourinage de piverts ivres", et peu de musique. Certains nuancent : "Cette œuvre nous malmène, nous annihile... C'est elle qui nous possède, nous assenant un coup de poing formidable". Antoine Golea évoque la "violence des réactions hostiles, auxquelles se sont aussitôt opposés d'enthousiastes applaudissements, prouvant l'audace et la puissance vitale de l'œuvre qui les a suscités". Pour Fernand Ouellette, "l'œuvre prend racine dans les archétypes des grandes terreurs, des grandes douleurs, des profondes angoisses que l'homme a au cœur de lui-même." Varèse évoque "ce lointain espace intérieur qu'aucun télescope ne peut atteindre, où l'homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle".

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Edgar Varèse. Bande magnétique. Implantation spatiale du dispositif.

Quelques jours plus tard, à Hambourg puis à Stockholm, Déserts est joué dans le calme. L'année suivante l'Amérique lui fait un triomphe réparateur. Varèse, dont l'œuvre intégrale tient sur deux CD, est en avance sur son époque. N'obéissant plus aux règles harmoniques mais appliquant des lois acoustiques, il travaille sur les rythmes, les fréquences, les intensités. "Je refuse de ne me soumettre qu'à des sons déjà entendus ; ce que je recherche ce sont de nouveaux moyens techniques qui puissent se prêter à n'importe quelle expression de la pensée et la soutenir".

Stravinsky, lui aussi victime de scandale au même endroit en 1913, considère que "la musique de Varèse va subsister, car elle porte l'empreinte de son temps. Le nom de Varèse est synonyme d'une nouvelle intensité... Le meilleur de sa musique - les sept premières mesures du n°16 d'Arcana et tout Déserts - prend place au premier rang. Honneur au mérite de ce Brancusi de la musique".

Frank Farian, faussaire pop ou génie du show-biz ?

Frank Farian a bâti des succès planétaires en restant dans l'ombre, préférant tirer les ficelles que se montrer sur scène. Ce producteur au flair infaillible, influent et controversé, a façonné des tubes mondiaux... tout en dissimulant une part essentielle de la vérité : ses stars ne chantaient pas toujours - et parfois, pas du tout.

En 1989, Milli Vanilli, duo glamour formé par les jeunes mannequins Rob Pilatus et Fab Morvan, rencontre un succès planétaire avec Girl You Know It's True. Mais en coulisses, un secret se répand : les deux jeunes hommes ne chantent sur aucun enregistrement. Farian le sait, bien sûr : il les a choisis pour leur look, pas pour leur voix. Lors d'un concert, le playback se bloque en boucle. On évoque un simple bug technique, mais le mensonge devient vite ingérable. L'un des vrais chanteurs de studio balance la vérité, puis se rétracte lorsque Farian lui offre une jolie somme d'argent. Sous la pression, le producteur finit par avouer la supercherie, et le scandale éclate dans toute la presse, symbole d'une industrie musicale prête à sacrifier l'authenticité sur l'autel de l'image.

Le Grammy Award du meilleur nouvel artiste, obtenu quelques mois plus tôt par le duo, lui est retiré - une première dans l'histoire. Les fans demandent à être remboursés. Quant à Rob et Fab, complètement dépassés, ils sont les victimes d'un système qui les a précipités à terre après les avoir portés aux nues. Un producteur qui fait chanter ses artistes, c'est normal. Un producteur qui remplace leurs voix sans l'avouer, c'est une tromperie. Farian s'en justifie pourtant sans problème : il vend un produit, pas seulement de la musique. Le public veut un fantasme, il le lui offre, à coups de mélodies redoutablement efficaces et de minois photogéniques.

Farian avait déjà appliqué cette recette dès les années 1970 avec Boney M. Derrière Daddy Cool, Rivers of Babylon ou Rasputin, c'est lui-même qui chantait en studio. Bobby Farrell, figure exubérante du groupe, faisait le show, mais ne chantait pas - ni sur scène, ni sur les disques. À l'époque, la supercherie, bien que connue des initiés, était passée inaperçue du grand public et n'avait pas fait scandale : Franck Farian savait construire des morceaux musicalement solides, accrocheurs, des arrangements léchés, taillés pour les charts et les pistes de danse. L'affaire Milli Vanilli, en revanche, reste un cas d'école. Alors que Bobby Farrell était présenté comme un showman, Rob et Fab étaient vendus comme auteurs-interprètes. Leur producteur leur avait même interdit de dire la vérité. L'histoire est désormais bien connue puisqu'elle a fait l'objet d'un biopic, sorti en France il y a un mois.

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Pour certains, Farian est un escroc malgré son talent. Pour d'autres, c'est un visionnaire de la pop manufacturée, révélateur des propres contradictions des consommateurs qui se laissent séduire par l'image sans forcément remettre en question l'authenticité artistique. Mais au fond, qu'est-ce que cette authenticité ? Est-elle liée à la sincérité de l'interprète, à la qualité de la production, ou à la réception par le public ? Farian interroge ces frontières floues : dans une logique où le succès se joue autant dans le regard que dans l'écoute, il fut peut-être moins un imposteur qu'un précurseur.

Presse à scandales

Lambada, l'envers du tube. Juillet 1989. Kaoma cartonne avec la Lambada, tube de l'été qui se vendra à presque deux millions d'exemplaires en France. On apprendra au bout de quelques mois que le compositeur crédité, Chico de Oliveira, n'existe pas, et que la chanson est en réalité une reprise non autorisé de Llorando se fue, du groupe bolivien Los Kjarkas, écrite en 1981. Les auteurs gagneront leur procès pour plagiat.

Fraude au streaming. En Caroline du Nord, un certain Michael Smith a généré 12 millions de dollars en sept ans, en diffusant en boucle sur les plateformes de streaming des centaines de morceaux créés par intelligence artificielle. Il a acheté des milliers d'adresses mail pour fabriquer autant de faux comptes, puis utilisé un logiciel maison pour lancer des écoutes automatiques à grande échelle. Il est actuellement inculpé pour fraude, blanchiment d'argent et usage de faux.

Hattogate. En 2005, Joyce Hatto, pianiste britannique méconnue, est encensée : elle vient de sortir, à l'âge de 76 ans, un coffret de 119 disques alors qu'un cancer l'éloigne de la scène depuis 25 ans. À sa mort en 2006, le Guardian la salue comme la plus grande pianiste anglaise. Mais un critique musical, puis un ingénieur du son, découvrent que les enregistrements sont en majeure partir ceux d'autres pianistes, habilement trafiqués. Le veuf de Joyce Hatto avouera : "Je l'ai fait pour ma femme".

"J'ai mis les paras au pas". En 1979, Gainsbourg reprend La Marseillaise en reggae dans son album Aux armes et cætera - un scandale. Le 4 janvier 1980, une alerte à la bombe l'oblige à annuler un concert à Strasbourg. Malgré tout, il chante la chanson a cappella, seul sur scène, face à d'anciens parachutistes hostiles, qui se mettent au garde-à-vous en entendant l'hymne. À la fin, il leur adresse un bras d'honneur. Un an plus tard, il achète le manuscrit original de La Marseillaise et découvre que Rouget de L'Isle y avait noté : "Aux armes citoyens ! Etc."

Le mot de trop. Peu après les attentats du 11 septembre 2001, le compositeur allemand Karlheinz Stockhausen déclare que ce fut "la plus grande œuvre d'art imaginable pour le cosmos tout entier", provoquant un tollé international. Il précisera qu'il parlait de la mise en scène par les terroristes, pas de l'acte lui-même, mais le mal était fait.

L'oreille du mensonge. Mamoru Samuragochi s'est fait connaître dans les années 1990 comme compositeur pour des jeux vidéo. Sa surdité, grandissante puis totale, lui a valu le surnom de "Beethoven japonais". Malgré son handicap, il a continué à écrire, et sa célèbre Symphonie n° 1 : Hiroshima (2003) lui a valu l'adoration de tout son pays. En 2014, la supercherie est révélée par Takashi Niigaki, qui a été payé pendant vingt ans pour composer à sa place : Samuragochi n'est ni compositeur... ni sourd.

Aïe aïe Aida. Le 10 décembre 2006, lors de la première d'Aida à la Scala de Milan, le ténor Roberto Alagna quitte la scène en plein spectacle après quelques sifflets du public. Déstabilisé, il s'assoit sur un gradin du décor, avant de partir furibond en dégrafant son costume. Un geste inédit dans l'histoire du prestigieux théâtre, qui choque jusqu'au chef Riccardo Chailly. On se souvient que la Callas et Pavarotti avaient aussi été hués par le difficile public de la Scala. Heureusement, les productions prévoient des remplaçants !

Le rabicoin

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Sacha Distel, brillant guitariste de jazz, de surcroît beau gosse et crooner, devra pour (très bien) gagner sa vie chanter de la variété. Ce sacré Scoubidou de 1959 lui assurera La Belle vie et le conduira loin de sa Première guitare pour quelques succès faciles dont ce Scandale dans la famille. Ce titre est une adaptation de Shame and Scandal in the Family interprétée à l'origine par Sir Lancelot mais popularisée par Shawn Elliott. La version française de 1965, plutôt réussie, est signée Maurice Tézé.

Le fil de la saison

(agenda culturel)

Bruits de fond(s)

(nouveautés dans nos collections + monticule musique, forum des nouveautés livres et partitions)

Clap !

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C'est l'été, l'occasion parfaite pour (re)voir quelques vidéos tournées à la MMP ! Partez en exploration dans les Archives sonores avec Jazon, invité récemment dans le cadre de la saison France-Brésil. Découvrez aussi le chanteur Faggia, qui est passé à la médiathèque pour tourner son dernier clip. Et pour les passionnés de nos collections de vinyles, un reportage complet vous attend sur la chaîne de Werner mp3.

Horaires d'été (et fermeture éclair)

Du 1er juillet au 31 août, la Médiathèque musicale de Paris sera ouverte de 13h à 19h du mardi au samedi. Elle sera exceptionnellement fermée le samedi 16 août, comme toutes les bibliothèques du réseau. Et si vous voulez jouer du piano pendant l'été, c'est toujours possible, sur réservation, de 13h à 14h ou de 14h à 15h !

Enquête estivale

Le réseau des bibliothèques et l'ensemble de la Direction des Affaires Culturelles sont sollicités pour relayer une enquête menée par l'APUR, consacrée aux pratiques culturelles des familles et des jeunes parisiens. Les réponses collectées permettront d'alimenter la réflexion sur l'évolution de l'offre culturelle à Paris. Pour participer à l'enquête, c'est ici.

Voisins et partenaires

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La MMP pratique

La Médiathèque musicale de Paris - Christiane Eda-Pierre est ouverte du mardi au samedi de 12h à 19h.
Accès métro-RER : Les Halles-Châtelet | Sortie 5 Porte Saint-Eustache.
Si vous êtes perdus, appelez-nous au 01 55 80 75 30 :)
Et pour nous écrire, c'est par mail à mmp@paris.fr

Découvrez le site internet de la MMP ! Vous trouverez aussi sur le portail des bibliothèques parisiennes tous les services et infos pratiques, un accès au catalogue des bibliothèques de prêt, au catalogue des bibliothèques patrimoniales et spécialisées et à la bibliothèque numérique. Enfin, vous y trouverez l'agenda des bibliothèques, une page spéciale musique, et une autre pour le cinéma.

© 2025 Médiathèque musicale de Paris - Christiane Eda-Pierre


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