La Musicale juin 2025 : Les murs ont des oreilles

Cité de la musique, Paris, esquisse de l'aile Est par Christian de Portzamparc, in
Antoine Pecqueur, Les espaces de la musique, éd. Parenthèses-Philharmonie de Paris, 2016.
Edito
Vous souvenez-vous du mythique Amphion ? Grand poète et musicien, il déplaçait les pierres avec sa lyre et sa flûte, et c'est ainsi qu'il put bâtir les remparts de Thèbes. Les architectes reprirent ce rôle magique, à l'image de Paul Chemetov, concepteur de la Médiathèque musicale de Paris. Dans ce numéro, La Musicale explorera les influences mystérieuses de la musique et des mathématiques sur l'architecture, et vous offrira une interview passionnante de l'architecte Bertand Beau, collaborateur de Christian de Portzamparc.
Côté agenda, nous vous invitons au jeu de piste de Paris Centre, le 21 juin de 13h à 17h, pour fêter la musique et le cinéma !
Les murs ont des oreilles
De l'influence des mathématiques et de l'architecture sur les compositeurs
Pour Renzo Piano, "La musique, aussi immatérielle qu'elle soit, peut imposer sa densité et son espace. De tous les arts, c'est celui qui est le plus proche de l'architecture". D'ailleurs, la plupart des architectes confessent avoir toujours rêvé construire une salle de concert. En témoignent de fructueuses collaborations entre musiciens et architectes. En 1958, Le Corbusier conçoit pour l'Exposition universelle de Bruxelles le Pavillon Philips, évoquant la forme d'une immense tente dans laquelle est diffusé en continu, grâce à 425 haut-parleurs, le Poème électronique d'Edgar Varèse. L'homme-clé de ce projet est Iannis Xenakis.
Il existe depuis l'Antiquité un dialogue fécond entre musique et architecture. Car la notion d'acoustique remonte à 2300 ans. L'hypothèse selon laquelle le son serait une onde émise par le mouvement d'un corps puis transmise par un mouvement de l'air remonte aux Grecs ; Pythagore est l'un des premiers à théoriser les rapprochements entre musique et mathématiques à travers les lois de l'harmonie. Il remarque que deux cordes à l'octave ont leur longueur dans un rapport double ; il va même élaborer un lien entre les intervalles et les distances entre les planètes.
Ces notions réapparaissent chez Vitruve, l'un des premiers théoriciens de l'architecture théâtrale, dans son traité en dix volumes De Architectura. Il évoque avec admiration les théâtres grecs et l'acoustique, qui est étudiée en termes de géométrie, résonances et émissions sonores : "Les anciens architectes ayant étudié la nature de la voix, et considérant comment elle s'élève en l'air par degrés, ont réglé en conséquence l'élévation que les degrés du théâtre doivent avoir, et suivant la proportion canonique des mathématiciens et la proportion musicale, ils ont fait en sorte que tout ce qui serait prononcé sur la scène parvint aux oreilles de tous les spectateurs d'une manière claire et agréable". Il imagine aussi ce qui sera un autre héritage marquant de l'époque antique : d'étranges vases résonateurs disséminés dans les gradins et qui jouent un rôle de filtre acoustique, atténuant certaines fréquences pour en amplifier d'autres. "Il faudra faire, selon les proportions mathématiques, des vases d'airain qui soient en rapport avec l'étendue du théâtre ; leur grandeur doit être telle que, venant à être frappés, ils rendent des sons qui répondent entre eux à la quarte, à la quinte et aux autres consonances, jusqu'à la double octave".

Vitruve. Le Theatrum Latinum selon Vitruve. Le Pavillon Philips à Bruxelles.
Mais pour Michael Forsyth, "La science de l'acoustique ne doit pas perdre de vue le produit fini de qualité... L'acoustique d'un auditorium doit servir soit à révéler le détail musical, soit à créer un fondu général de la coloration musicale". Certains composent en fonction de l'architecture où leurs œuvres seront créées. En 1436, Guillaume Dufay écrit un motet avec une "rigoureuse fidélité aux proportions formelles" de la cathédrale de Florence ; Berlioz utilise le potentiel de spatialisation de l'Eglise Saint-Louis des Invalides pour son Requiem ; avec sa Universe Symphony, Charles Ives imagine un paysage avec des musiciens jouant sur différentes collines, rappelant les temps antiques où se sont succédé les fêtes dionysiaques des vignobles vallonnés et les spectacles dans les premiers amphithéâtres, comme Athènes ou Épidaure.
Composer avec l'espace : l'architecture au service de la musique
Bertrand Beau est architecte. Il a notamment travaillé avec Christian de Portzamparc sur des projets d'envergure : la Cité de la musique à Paris (dont le Conservatoire National de Musique et de Danse), la Philharmonie du Luxembourg, la Cidade das Artes de Rio... Passionné de musique, il fréquente assidument la Médiathèque musicale de Paris. Il a bien voulu répondre à nos questions.
MMP : Typologie des salles de concert : quelle forme pour la salle idéale ?
B.B. : Parce que trois des quatre meilleures salles du monde sont parallélépipédiques, la forme "boîte à chaussures" s'est longtemps imposée : deux fois plus longue que large, avec un public assis en rangs parallèles face à la scène. Les salles philharmoniques contemporaines, elles, placent plutôt l'orchestre au centre. Elles exploitent les caractéristiques naturelles de propagation du son à 360°, avec le public autour. Les salles "en vignoble", comme à Berlin, ont des balcons convexes, en terrasses autour de la scène. D'autres sont en ellipse — forme remise au goût du jour par Portzamparc à la Cité de la musique. Et puis il y a les salles "élisabéthaines", qui favorisent l'occupation verticale du public pour une meilleure proximité avec la source sonore. C'est le cas de la Philharmonie du Luxembourg ou de la Cidade das Artes de Rio.

Musikverein (Vienne). Concertgebouw (Amsterdam). Philharmonie de Berlin.
MMP : Entre exigences et usages : comment penser la modularité des salles ?
B.B. : Nous appelons "salles Janus" ces salles multiprogrammes, mais attention à la notion de polyvalence, souvent synonyme de compromis et de performances moyennes. Par exemple, combiner une salle d'opéra et une salle symphonique, en installant l'orchestre sur une scène d'opéra, est rarement satisfaisant. Pour la musique symphonique, l'idéal est une salle dans laquelle le public entoure l'orchestre et occupe la hauteur. Dans une salle d'opéra, en fer à cheval, les espaces latéraux et arrière de la scène sont perdus et ils absorbent une partie du son. Pour pouvoir faire les deux très bien à Rio de Janeiro, Christian de Portzamparc fait dégager la scène en déplaçant sur coussins d'air des tours de cinquante tonnes chacune, puis il fait descendre le proscenium pour créer une fosse d'orchestre, et enfin, il descend le plafond pour réduire le temps de réverbération.

Cité de la musique. Philharmonie du Luxembourg. Cidade des Artes (Rio de Janeiro).
MMP : Peut-on vraiment prédire l'acoustique d'une salle ?
B.B. : L'un des critères-clé est bien sûr le temps de réverbération. Ce "Tr" est égal à moins d'une seconde pour une salle amplifiée, comme le Paris La Défense Arena, à 1,4 seconde pour une salle d'opéra, et à deux secondes pour une salle philharmonique. Les acousticiens travaillent avec l'architecte, à partir de programmes informatiques et de maquettes. Ensemble, ils définissent la géométrie des parois et du plafond, avant de les couvrir de matériaux réfléchissants ou absorbants. Et ce n'est que le début d'un travail long et très complexe. Le problème est que le traitement acoustique n'est pas une science exacte, et il est donc impossible de garantir à l'avance, et avec certitude, qu'une salle philharmonique sera aussi bonne que la Musikverein de Vienne ou le Concertgebouw d'Amsterdam. Pierre Boulez nous disait que certaines salles avaient été démolies, aussitôt que construites, ou transformées en manèges à chevaux !

Maquettes pour l'étude acoustique. Crédits photos : Bertrand Beau
MMP : Observer, écouter, comprendre : comment apprendre ce que les programmes ne disent pas ?
B.B. : Un projet commence toujours avec un site et un programme. Mais si le programme nous fixe le Temps de Réverbération, ou la température de la salle, il passe sous silence des dizaines d'informations essentielles pour le fonctionnement d'une salle de concert. Le programme ne nous dit pas qu'il faut proscrire le vert, couleur maudite pour les artistes superstitieux, ou ne pas faire des fauteuils trop confortables, qui privilégient l'endormissement et nous privent de la concentration pour écouter la musique ! Avant même de commencer à concevoir, nous devons visiter des salles existantes pour comprendre ce qui fonctionne et ne marche pas. Nous écoutons les musiciens, les régisseurs, et le public. Cette première phase est indispensable, quel que soit le projet - salle de concert, bibliothèque, hôpital, salle de sports. Elle est passionnante aussi, car elle fait rentrer les concepteurs dans des mondes qu'ils ne connaissent pas.
MMP : Transmission, patrimoine : l'architecture est-elle un art de la mémoire autant que de la création ?
B.B. : En matière de salles de concert, Christian de Portzamparc s'est inspiré des salles de type "Colisée" et des salles du Théâtre Élisabéthain, qui enveloppent l'orchestre et rapprochent le public et les musiciens. A l'inverse des salles "boîtes à chaussures" qui placent le public sur des lignes parallèles, ces salles permettent aux auditeurs de se voir et de communier ensemble dans le partage de l'émotion.
MMP : La Cidade das Artes, un de vos projets favoris ?
B.B. : Oui, ce projet qui a reçu le Grand Prix de l'AFEX mérite d'être mieux connu. C'est un projet total, ouvert sur la ville, qui accueille en son cœur une salle Janus magnifique, qui peut être opéra ou philharmonique, sans perdre aucune des qualités requises pour ces deux configurations. À dix mètres au-dessus du sol, et sous le grand dais protecteur qui culmine à trente mètres au-dessus de lui, le spectateur peut attendre le concert face au beau paysage de la Pedra da Gávea, parcouru par les alizés de l'océan. La Cité des Arts de Rio est aussi un très grand projet parce qu'il prépare magnifiquement le spectateur et l'auditeur, au cours de son parcours vers les foyers et les salles. En déambulant dans ce projet qui est comme un micromonde qui agit tel un filtre, le futur spectateur de la Flûte Enchantée visite un espace magique, dans lequel des colonnes volent au-dessus de sa tête, et où des bâtiments hors échelle se prosternent à ses pieds. Il peut écouter et comprendre le Prince Tamino, car il a vécu des sensations similaires.
MMP : L'expérience immersive : comment prépare-t-on un spectateur à écouter ?
B.B. : Nous venons d'en parler pour les salles de Rio. À Paris, le public des salles de concert du Conservatoire quitte l'avenue bruyante et traverse des lieux où la lumière baisse progressivement, et où le son des pas devient de plus en plus mat, jusqu'au silence. Le hall et le foyer sont des espaces de transition, qui préparent ses yeux et ses oreilles à la pénombre et au silence de la salle. La musique peut commencer.
MMP : Jusqu'où faut-il aimer la musique pour construire ses lieux ?
B.B. : Je joue d'un instrument, et je travaille continuellement avec la musique classique. J'ai connu la Discothèque de France, et aujourd'hui je fréquente la MMP et les deux discothèques de la Cité de la Musique. Pour notre travail, c'est essentiel d'avoir une culture musicale solide, pour comprendre la relation entre les différentes musiques et le lieu qui les reçoit, car cette adéquation est indispensable pour la réussite d'une salle.
Le rabicoin
L'orgue est souvent prévu dès la conception du bâtiment, qu'il s'agisse d'une église ou d'une salle de concert. Le facteur travaille avec architectes et musiciens sur l'implantation de l'instrument, son esthétique, les questions d'acoustique et les usages prévu. Entre livre et disque, la revue Orgues historiques consiste en un fascicule illustré de photos et de dessins, une brochure de vingt pages présentant un orgue particulier dans son contexte architectural : son église, sa commune, sa région. Le fascicule est accompagné d'un 45 tours.
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