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Edito

De retour chaque année avec les hirondelles, le printemps des poètes se tiendra cette année du 14 au 31 mars. La Musicale s'envole ce mois-ci vers l'Iran, terre de poètes, qui célèbre l'entrée dans la nouvelle année du calendrier persan le 20 mars, à l'équinoxe de printemps. Pour vous souhaiter Sâl-e-no mobarak [bonne année], il sera question de l'émission de radio Golhâ [les fleurs] qui a valorisé le vaste répertoire de la poésie persane lyrique durant 23 ans et dont plusieurs cassettes sont récemment entrées dans les collections de la MMP. Nous vous présenterons ensuite l'icône de la pop iranienne Googoosh qui a chanté en persan et en pattes d'eph, l'Iran des années 1970. Et enfin, nous vous ferons entendre la voix contemporaine des rappeuses iraniennes, une voix de contestation et de courage. Et pour continuer avec la poésie, le samedi 15 mars à 14h, la MMP et le conservatoire du 7e arrondissement proposent un concert entre musique et littérature avec notamment une mise en musique du célèbre auteur de haïkus japonais Bashô.

Perse-oreilles

Golhâ ou le printemps des poètes

Le 21 mars 1956, à l'occasion de la nouvelle année (No-ruz), la radio nationale iranienne diffuse une émission musicale et poétique consacrée à Hâfez, le célèbre auteur du Divân. C'est le début du programme Golhâ (les fleurs), dont le propos est de valoriser le vaste répertoire de poésie lyrique ancienne, et de familiariser le grand public avec l'héritage de cette tradition raffinée. Le concept est novateur pour l'époque : inviter musiciens et critiques littéraires à échanger autour d'un auteur, agrémenter la discussion par des poèmes déclamés ou chantés avec accompagnement musical, enrichir de quelques pièces purement instrumentales.

Fort de son succès, le programme sera décliné au fil des ans sous diverses formes. Ainsi la première série d'émissions radio, les Golhâ-ye Jâvidân (fleurs immortelles), consacrée aux poètes anciens, sera suivie des Golhâ-ye Rangârang (fleurs multicolores), au répertoire plus diversifié, incluant auteurs et compositeurs contemporains. Il y aura aussi les Golhâ-ye Sahrâ'i (fleurs du désert), consacrées aux chansons régionales, les Golhâ-ye Tâzeh (fleurs fraîches) ou Yek Shâkheh Gol (une seule fleur) avec une thématique unique pour chaque émission. Au total, ce sont 1600 émissions radiophoniques de 30 mn en moyenne, diffusées pendant 23 ans entre 1956 et 1979. De quoi marquer les esprits de plusieurs générations d'auditeurs. La série la plus célèbre, Rangârang, donnera même son nom à un programme télévisé.

Par son exceptionnelle longévité et sa grande qualité artistique, le programme Golhâ est un acteur de l'évolution de la perception de la musique en Iran, voulue par la dynastie Pahlavi.

Revenons en arrière. Au début du 20e siècle, la poésie lyrique des philosophes anciens, chantant l'amour et le vin, n'était pas toujours perçue dans sa dimension symbolique. La musique, plutôt mal considérée par les religieux, faisait rarement l'objet de représentations publiques. Mais elle a été replacée peu à peu comme un élément central de la culture iranienne, dans la pratique, mais aussi la diffusion, l'enseignement et la recherche - grâce notamment aux travaux du musicien, musicologue et pédagogue Ali-Naqi Vaziri. Le public a ainsi découvert, en plus de la musique de cour, les musiques folkloriques des différentes régions, les musiques religieuses ou rituelles des minorités ethniques, puis les musiques d'autres pays. Quant aux musiciens, ils ont été au fil du temps considérés comme des maîtres, des spécialistes d'une forme d'art de haut niveau.

Le programme Golhâ reflète cette évolution, au point d'être devenu une sorte d'encyclopédie de la musique. L'universitaire britannique Jane Lewisohn a mené un remarquable travail de recherche, d'archivage, de numérisation de toutes les émissions, rassemblées en une base de données très complète, le Golhâ Project. Le grand public peut dorénavant non seulement écouter librement les émissions, mais aussi accéder aux biographies des artistes et aux transcriptions musicales de toutes les pièces. Un bonheur pour les musiciens, mais aussi pour tous les Iraniens qui ont dû quitter leur pays depuis 1979.

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La MMP a la chance d'avoir reçu un don de plusieurs cassettes audio de ces émissions, provenant d'une collection particulière. Elles seront d'ici quelque temps cataloguées par le pôle des collections patrimoniales.

Googoosh, icône pop

Googoosh (de son vrai nom Fâegheh Atashin) est l'une des figures les plus emblématiques de la pop iranienne d'avant la révolution islamique. Disons-le : une icône.

Dans les années 1960 et 1970, sous l'influence des États-Unis qui soutiennent le Shah, l'Iran se modernise, s'occidentalise, en adoptant de plus en plus les modèles sociaux et culturels américains. En musique, la soul, le rock psychédélique et le funk s'incorporent aux sonorités traditionnelles persanes. Les labels et les disquaires se multiplient, de même que les radios, les agents artistiques, les cafés et salles de concert. La télévision relaie de nouveaux goûts et de nouvelles pratiques culturelles.

Googoosh incarne à la fois ce phénomène de métissage culturel et cet engouement populaire pour la musique. Elle chante l'amour, souvent teinté de mélancolie ; et elle le chante en persan, d'une voix souple et fluide qui excelle dans les mélodies modales et les ornementations traditionnelles. Elle donne à son chant des inflexions, des respirations et un phrasé très expressifs, tout en jouant avec les accents des polyrythmies complexes. Dans sa musique cohabitent instruments iraniens (comme le daf ou le kamânche) et occidentaux (guitare, basse, batterie mais aussi parfois un orchestre de cordes), auxquels sont souvent ajoutés des synthétiseurs. Elle bénéficie des progrès technologiques de l'enregistrement et du traitement du son : superposition des pistes, mixages sophistiqués, effets de réverbération ou de distorsion, comme dans le tube Gol bi goldoon (fleur sans vase), succès de l'année 1971.

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Côté look, on la voit en mini-jupe, pattes d'eph ou robe longue façon hippie, strass et sequins, khol, cheveux lissés ou coupe garçonne, brune, blonde ou rousse ; elle est très à l'aise devant les caméras, auxquelles elle a été habituée dès l'enfance, y compris en tant qu'actrice. Elle enchaîne les tournées internationales et séduit les foules partout où elle passe.

Après la révolution en 1979, le nouveau régime lui demande de quitter le pays ou de ne plus chanter. Elle fait le choix de continuer à vivre en Iran, malgré les restrictions, notamment l'interdiction pour les femmes de chanter en public - elle doit d'ailleurs s'engager au silence en signant une promesse écrite. Googoosh disparaît de la scène et des médias mais reste très populaire, et ses chansons continuent à être écoutées... en cachette. En 2000 on lui rend le passeport qu'on lui avait confisqué, et elle quitte l'Iran pour s'installer au Canada. Après vingt et un ans de silence forcé, elle remonte enfin sur scène, reprend les tournées et renoue avec son public, principalement la diaspora iranienne à travers le monde.

Dans son dernier album, bien sûr, la voix est plus grave, moins souple. Mais elle a gagné en profondeur, et ses ballades romantiques résonnent différemment, portées par l'effet de métaphore : séparation, chagrin, résilience, espoir, les paroles charrient toute l'histoire d'un peuple. Quant à ses chansons les plus anciennes, elles sont devenues des classiques et font partie de la mémoire collective de plusieurs générations. Après cinquante ans de carrière au total, marqués par une tournée d'adieux en 2023, l'icône Googoosh est aujourd'hui, elle aussi, un symbole de résistance.

La voix des rappeuses iraniennes

"Ce n'est pas parce qu'une chose est interdite qu'elle n'existe pas". C'est ainsi que débute le reportage Tracks consacré aux rappeuses en Iran. Ces mots sont prononcés par Faravaz, artiste iranienne condamnée à un an de prison par contumace par les autorités pour avoir chanté en public. Alors qu'elle se produit en Allemagne, elle décide de ne pas rentrer en Iran et de militer depuis Berlin pour le droit des femmes iraniennes à faire entendre leur voix. Depuis la révolution de 1979, la voix des femmes est un problème en Iran, il leur est interdit de chanter en solo devant un public mixte. Les voix des grandes chanteuses telles Qamar (première Iranienne ayant osé chanter sans hijab dans les années 1920) ou Delkash s'y sont tues et celle de Googoosh y est censurée. Dans No Land's song, documentaire sorti en 2016, Sara Najafi raconte son combat pour organiser un concert de chanteuses solo à Téhéran.

Pourtant, bien qu'invisibilisées par la loi et condamnées à ne pas faire carrière, les chanteuses iraniennes sont nombreuses à composer et créer au péril de leur liberté et de leur vie. Et quand il s'agit de faire du rap, elles vivent une double transgression.

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Xara, Faravaz et Sayda (Tracks, Arte). Ghogha (site officiel). Justina (Jack Canal +).

Le rap arrive en Iran dans les années 2000 avec des artistes comme Hichkas, que l'on voit dans le film Les chats persans paru en 2010, témoignage de la vivacité de la musique underground à Téhéran. Le rap devient très populaire et en 2007, le ministère iranien de la culture le déclare illégal. Sur internet et les réseaux sociaux, le hip hop iranien reste ultra vivant. Bien plus qu'un simple genre musical, il devient la voix des contestations. Au point que le régime essaie de promouvoir un rap commercial non politisé. Les rappeurs qui s'attaquent au régime sont condamnés à mort comme Toomaj Salehi, finalement libéré en décembre 2024. Et pour les rappeuses, le seul fait d'exister est un délit, peu importent les messages qu'elles expriment. Rapper est pour elles un acte d'immense courage et de résistance. Comme Faravaz, certaines sont contraintes à l'exil : Ghogha a rejoint la Suède en 2010, suivie par Justina en 2018. Toutes deux racontent à quel point il leur a été difficile d'enregistrer et de faire connaître leur musique en Iran. Justina, par exemple, diffusait sa musique via Radio Javan, une plateforme pirate hébergée aux États-Unis. Suite à plusieurs alertes - appartement fouillé, arrestations, interpellations de personnes les ayant enregistrées -, elles ont, à regret, quitté leur pays. Comme Faravaz, Justina continue de se battre pour défendre les droits des femmes iraniennes. Toutes deux participent au mouvement Femme, Vie, Liberté qui a émergé suite à la mort de Mahsa Amini. Leurs compositions empruntent aux sonorités de l'Iran et elles continuent de chanter en farsi. En Iran, d'autres voix émergent dont celle de Sayda qui est la première femme à rapper en lori, elle revendique son appartenance à l'ethnie des Lors, originaire d'une région pauvre et magnifique du sud de l'Iran. Elle aussi sait quelle force peut avoir la voix des femmes et l'importance de rapper envers et contre tout. Leurs voix s'élèvent et sont relayées par la diaspora iranienne à travers le monde.

Le rabicoin

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Le Baloutchistan est une région recouvrant une partie de l'Iran, du Pakistan et de l'Afghanistan. Ce double-disque met en avant les pouvoirs que peuvent exercer les rythmes et les ornementations de la musique du peuple baloutche. Par leur jeu instrumental, leurs litanies soufies et leurs poèmes religieux, les musiciens communiquent notamment avec les malades que les médecins ne parviennent pas à soigner. Sorti en 1981 chez Ocora, le label de Radio France, ce disque mystique et son livret sont symboliques de cette époque de vinyles ethnomusicologiques.

Le fil de la saison

(agenda culturel)

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