Edito
Comme les premiers bourgeons qui percent la terre, les voix des bébés s'éveillent et découvrent le monde. En avril, La Musicale s'attache à ces moments magiques où le babil devient symphonie, où chaque gazouillis est une exploration du monde. Nous parcourerons ensuite l'histoire fascinante de la musique pour les tout-petits, de la création d'associations pionnières aux collections discographiques qui ont bercé des générations. Enfin, un détour par le rap nous fera redécouvrir l'histoire mythique du bébé sur la pochette de Ready to Die de The Notorious B.I.G., symbole d'une carrière musicale marquée par le destin et le mythe.
Et parce que la musique accompagne tous les âges, venez donc en famille profiter de notre exposition "Sounds of Sunset", qui se termine le 12 avril !
Be my baby
Les atours du babil
L'enfant, Infans, est "celui qui ne parle pas, qui n'a pas encore trouvé sa voix". Avec une telle étymologie, évidemment, on se penche sur le berceau, on tend l'oreille, pour conclure sans hésiter : et pourtant il parle ! Alors que dit-il, qu'entend-on, comment qualifier ces sons qui ravissent, étonnent, ou fatiguent les grandes oreilles ?
Il faut remonter un peu avant le commencement, quand infans est encore in-utero, dans son bain amniotique fait de sons parmi lesquels la voix de la mère est clairement perçue. Les bruits sont filtrés et étouffés mais on sait grâce aux accélérations du rythme cardiaque que dès le premier mois, les sens du fœtus sont réceptifs. Ses expériences se poursuivent à l'air libre par l'exploration du souffle qui lui permet à son tour de (re)produire des sons aux pouvoirs magiques : le monde alentour s'agite et répond à ses appels ! Le bain mélodique constitue alors un premier "miroir sonore" dont il use et abuse par ses cris puis son gazouillis auxquels répond la voix maternelle apaisante. On songe au perroquet de la Castafiore en pleine vocalise pour son fameux "air des bijoux" et qui pourrait en moduler une variante: "ah, je ris que ma voix si belle ait ce pouvoir !"
Des linguistes taquins (et un brin jaloux) ont d'ailleurs montré que ce babil d'avant le langage, jubilatoire, est un trésor prodigieux : bébé est doté d'un appareil phonique capable de prononcer les sonorités de toutes les langues du monde, sans exception. Roman Jakobson repère ainsi que rien ne limite les possibilités du nourrisson, et affirme avec poésie que ce dernier peut prononcer "des consonnes mouillées, affriquées, sifflantes et des clicks", tous absents de la langue qu'on parle autour de lui. Le nourrisson est donc un être "superphonique" ! Mais rien ne dure de cette période enchantée puisqu'il perd (presque) tout au cours de sa mue rapide en être doué de parole ; l'amnésie phonique infantile le fait donc redescendre des "sommets du babil" pour reprendre le sentier jalonné d'embûches de l'apprentissage des seules consonnes et voyelles utiles de sa langue maternelle. Ce serait le prix à payer pour passer du son au sens, suggère encore David Le Breton dans ses Éclats de voix.

Même si l'époque du babil est révolue depuis longtemps, on trouve les échos de cette langue lointaine, une "écholalie", comme l'appelle joliment Daniel Heller-Roazen ici ou là : n'est-ce pas cette jubilation qu'on ressent devant la gymnastique désespérée d'Elisa (Audrey Hepburn) pour parler cette "autre langue" anglaise sous la férule du Professeur Higgins (Rex Harrison) dans My Fair Lady ? Mais aussi, plus trivialement, quand nous chantons sous la douche (réminiscence amniotique ?) et que borborygmes et onomatopées nous font renouer avec le plaisir pur d'un son privé de sens ?
Et c'est par l'eau qu'on finira. Les échanges mère-enfants transitent par la rivière ou l'océan, nous rappelle le cinéaste Kenji Mizoguchi dans son trop méconnu Sansho l'intendant : séparés brutalement, une mère et ses enfants qui espèrent des retrouvailles bien plus tard comprennent par le biais d'un chant de l'autre côté du rivage qu'ils ont reçu un message sur la plage, chaque soir, et que son intime familiarité avait une raison évidente et maternelle. On pourrait en dire autant de ces chants de baleines capables de parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour atteindre celui qui fut baleineau jadis, et qui transmettra à son tour, peut-être, le chant maternel qu'il n'a jamais oublié.
Bib et bébés
Le répertoire musical dédié à la petite enfance concerne berceuses, jeux de nourrice, formulettes, jeux de doigts, comptines et quelques créations personnelles. Petite histoire de la musique enregistrée pour tout-petits.
On se souvient des albums-disques du Père Castor, dans les années 1960, avec les Premiers jeux, Jeux chantés. Ou encore des Berceuses du monde entier chez Le Chant du monde en 1981. C'est aussi en 1981 que naît l'association Enfance et musique, qui éditera 75 comptines, chansons et jeux de doigts par H. Bohy et A. Chaumié (1987) et Je chante avec mon bébé d'Agnès Chaumié (réédition en 2023). En 1988, création de Didier jeunesse, avec les Comptines des Petits Lascars, et deux collections à signaler : Comptines du monde (initiée en 2001 avec À l'ombre de l'olivier) et Bulle et Bob (Bulle et Bob à la plage, premier titre en 2009). Puis viendra, en 1996, Gallimard jeunesse musique, avec sa collection des imagiers (Mon imagier sonore, premier titre en 2000), celle de Coco le ouistiti (dès 2000 avec Coco lave son linge), et Mes petits imagiers sonores et son premier livre à puce, La nature (2009). Enfin, notons que l'association Benjamins media, créée en 1986, propose depuis 40 ans des livres audio, comme Petit chat découvre le monde, premier titre de la collection Taille S (2010).

Dans les bibliothèques parisiennes, le collectif J-SON est composé de bibliothécaires jeunesse spécialisés en musique, qui connaissent bien ce paysage éditorial et proposent des activités de médiation. Les collègues de la bibliothèque Glacière - Marina Tsvetaïeva, par exemple, vont à la rencontre des professionnels de la petite enfance et témoignent : "Bien sûr, on chante beaucoup en crèche, mais l'écoute partagée de CD a bien des atouts. Elle permet de faire connaître le patrimoine traditionnel, sorte de 'doudou sonore' que l'enfant retrouvera aussi en famille ou à la bibliothèque. Elle propose une porte d'entrée dans la culture de l'autre : il est intéressant de faire écouter des langues, des instruments très différents, les bébés ont des oreilles toutes neuves et pas d'a priori ! Elle peut être un support de jeu, d'expression corporelle (le tout-petit est dans l'écoute physique et mobile) ou encore d'éveil aux bruits de l'environnement avec les imagiers sonores. Pour mieux les faire connaître, une présentation aux professionnelles dans le cadre de comités de lecture Petite Enfance est toujours utile. Le principe est de donner des clés concernant les différentes catégories, d'en présenter le contenu ainsi que les artistes et bien sûr de faire écouter des extraits, c'est le meilleur moyen de donner envie !"
Que se passe-t-il lorsqu'on propose aux tout-petits et à leurs parents d'utiliser nos petits instruments ? Ils répondent ! Retour d'expérience à la bibliothèque Jacqueline de Romilly : "Avec leurs mains et leurs percussions ils ont reproduit nos expérimentations sonores et dialogué avec leurs parents, les autres enfants et les familles. La séance a débuté ce jour-là avec les chansons jeunesse québécoises de l'album Tam Ti Delam. Nous avons continué par la lecture d'albums évocateurs de sons et de rythmes tels que Et paf ! et Sur le chemin de la maison : patapon, patapon. La séance s'est terminée par des comptines dans un joyeux vacarme aidé par les bâtons de pluie et les tapis sonores. Cette expérience était la première organisée sur notre créneau mensuel 'Bébés Lecteurs' où les enfants sont encouragés pendant une heure et demi à prendre contact avec le livre entourés de leurs parents. Expérience réussie, 'Bébés Musicaux' sera renouvelée !"
Pour découvrir la sélection des 0-3 ans du collectif J-SON, rendez-vous sur le portail des bibliothèques avec "En avant la musique" !
Ready to Die ou le bébé le plus connu du rap
Ready to Die (Prêt à mourir) est le premier album de The Notorious B.I.G.. Sorti en 1994, il constitue un apport considérable et durable au rap. Mais la légende de cet album s'est également construite sur la mystique qui l'entoure.
Ready to Die débute avec les sons d'une naissance. Puff Daddy, qui produit le disque, joue le rôle de sage-femme. Cette mise en scène qui tient de la maïeutique socratique est une première occurrence de l'égocentrisme obstiné dont fait preuve B.I.G. avec ce premier album, et l'on fait inévitablement le lien avec le bébé présent sur la pochette. B.I.G. semble s'annoncer d'entrée comme l'enfant prodige du rap, et cet élan d'egotrip se retrouve tout au long de l'album. Dans The What, B.I.G. dit être le "Franck White Noir", en référence au parrain de la drogue du film The King of New York (1990). Dans le film, Franck White meurt assassiné dans une voiture, et c'est justement dans sa voiture qu'est tué B.I.G. trois ans plus tard. Par ailleurs, B.I.G. évoque ouvertement sa propre finitude dans le morceau Suicidal Thoughts (Pensées suicidaires) qui conclut l'album : "Je jure devant Dieu que la mort m'appelle putain !". Le second et dernier album de B.I.G. sort seize jours après sa mort. Son titre Life After Death (La vie après la mort) résonne alors plus étrangement que jamais.

La communauté hip hop a longtemps spéculé sur l'identité du bébé de Ready to Die. Puisque l'album avait une dimension autobiographique, ce devait être B.I.G. enfant qui y était représenté. Ce dernier aurait notamment imité la pochette de l'album Illmatic sorti six mois plus tôt, pour laquelle le rappeur NAS avait choisi une photo de lui à sept ans. Une autre théorie voulait que le bébé sur la pochette soit la fille de B.I.G., née un an avant la sortie de l'album. Le mystère perdure jusqu'en 2011, quand le New York Daily News mène une enquête et publie l'interview d'un certain Keithroy Yearwood qui revendique être le bébé de Ready to Die. Preuve à l'appui : de nombreuses photos de son enfance et l'histoire toute simple d'un contrat avec une agence de mannequins que les journalistes ont pu vérifier.
La dimension mystique n'en est pas écornée pour autant. Ce bébé tient bel et bien le rôle de B.I.G. selon la volonté de ce dernier, comme une doublure au cinéma. En le plaçant sur la couverture de son album, bien au centre sur fond blanc, B.I.G. ne revendique-t-il pas qu'il est "prêt à mourir" depuis qu'il est né ? Et s'il se voyait comme un enfant prodige du rap, le temps lui a donné raison. Le magazine Rolling Stone classe Ready to Die huitième meilleur album des années 1990, tous styles de musique confondus. En 2018, il devient sextuple disque de platine (six millions de disques vendus).
Le rabicoin
Ce rondeau (1881) chante les louanges du sentiment maternel chez la mère d'un bébé prénommé Henri. Paul Henrion en est le compositeur. Membre de la goguette du Poulet sauté, il fut aussi président de la SACEM. Les paroliers Lucien Delormel et Gaston Villemer sont connus pour leurs chansons "revanchardes" lors de la perte de l'Alsace-Lorraine. Leur muse, la cantatrice Thérèse Amiati, a créé Bébé à l'Eldorado, célèbre café-concert parisien. Henri serait-il le fils du parolier Delormel, né en 1880, qui portait le même prénom ? Cette partition en feuille est consultable à la MMP - Cote PF00266.
Le fil de la saison
(agenda culturel)

Bruits de fond(s)
(nouveautés dans nos collections + monticule musique, forum des nouveautés livres et partitions)
Fermeture éclair
La Médiathèque musicale de Paris sera fermée le samedi 19 avril, comme toutes les bibliothèques du réseau.
Enquête estivale
Le réseau des bibliothèques et l'ensemble de la Direction des Affaires Culturelles sont sollicités pour relayer une enquête menée par l'APUR, consacrée aux pratiques culturelles des familles et des jeunes parisiens. Les réponses collectées permettront d'alimenter la réflexion sur l'évolution de l'offre culturelle à Paris. Pour participer à l'enquête, c'est ici.
Voisins et partenaires
La MMP pratique
La Médiathèque musicale de Paris - Christiane Eda-Pierre est ouverte du mardi au samedi de 12h à 19h.
Accès métro-RER : Les Halles-Châtelet | Sortie 5 Porte Saint-Eustache.
Si vous êtes perdus, appelez-nous au 01 55 80 75 30 :)
Et pour nous écrire, c'est par mail à mmp@paris.fr
Découvrez le site internet de la MMP ! Vous trouverez aussi sur le portail des bibliothèques parisiennes tous les services et infos pratiques, un accès au catalogue des bibliothèques de prêt, au catalogue des bibliothèques patrimoniales et spécialisées et à la bibliothèque numérique. Enfin, vous y trouverez l'agenda des bibliothèques, une page spéciale musique, et une autre pour le cinéma.
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